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le traité métaphysique (Essay or the Sublime and Beautiful) auquel il dut l’éclat imprévu de sa réputation naissante. Le poète y domine le philosophe ; le sentiment du beau et du grand y règne en maître, et le style a de la force et de la majesté ; les causes abstraites n’y sont ni approfondies ni suffisamment analysées. Un écrivain se révélait à l’Angleterre. Bientôt, de retour à Londres, il devient collaborateur de plusieurs revues et rédacteur politique de l’Annual Register ; ces travaux lui rapportaient peu. Il allait le soir se placer, rêveur, sur un des bancs du parc Saint-James, et là il méditait[1]. Son attitude était fort simple, et son costume rappelait l’austérité de la secte quaker, dont les conseils l’avaient formé. Un soir, un membre de cette secte vint s’asseoir près de lui et le questionna sur son nom, sa famille, son avenir, et se prit d’amitié pour lui. Ce bon quaker l’introduisit chez le docteur Nugent, dont il épousa la fille, et qui commença sa fortune.

C’était en 1760. Chatham était premier ministre, effrayait le roi, imposait aux whigs, et forçait les tories au silence. Un homme assez puissant, attaché à ce ministère Gérard Hamilton, secrétaire du lord-lieutenant d’Iirlande, jette les yeux sur Edmond Burke, jeune homme grave, ardent, noblement et sérieusement ambitieux, qui lui semble excellent à employer ou plutôt à exploiter. C’est un danger couru, dans la jeunesse, par tous les hommes de talent ; ils trouvent quelque habile qui les devine et veut accaparer leur force. Celui-ci espérait s’affilier et absorber à son profit la vie entière du jeune Irlandais, qu’il emmena en Irlande, qui l’aida de sa plume, de son activité, de ses conseils, et qui, ne tardant pas à comprendre l’inféodation à laquelle on espérait le soumettre, repoussa la chaîne dont on voulait le charger. « Hamilton, dit-il à son ami, veut faire de moi une pièce de son mobilier, contre toute justice et aussi toute prudence. Il veut un esclave, objet inutile à qui le possède. Il refuse un ami fidèle, acquisition qui a de la valeur. Je lui pardonne cette erreur grave ; la sagacité, pratique ne lui manque pas, mais la sympathie lui est absolument inconnue, et, quant à moi, j’ai assez d’estime de moi-même pour ne pas devenir une des bêtes de somme de son écurie[2]. » Hamilton lui avait fait obtenir une pension sur le trésor d’Irlande, pension qui montait à 300 livres sterling. Burke, il est vrai, avait eu soin de stipuler d’avance en faveur de sa liberté ; dès qu’Hamilton voulut

  1. Anecdotes d’Almon, p. 202.
  2. Tome I, p. 67.