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de post-scriptum ajouté à la lettre du curé, et il ne fut plus du tout question d’Agathe au château de Colobrières. Gaston et sa sœur ignorèrent ce qui s’était passé, leur mère ne jugeant pas à propos de leur révéler l’existence de cette tante dont ils n’avaient jamais entendu parler. On leur apprit seulement que la tour de Belveser ne faisait plus partie des domaines de la famille, et ni l’un ni l’autre ne songea à demander le nom de l’acquéreur.

Lorsque le baron se vit en possession d’une somme de cinq cents écus, il se figura qu’il ne viendrait jamais à bout de la dépenser. Comme la plupart de ceux qui n’ont guère manié d’argent, il ne savait pas en calculer la valeur, et il l’employait sans discernement. Ayant appris que des ouvriers étrangers travaillaient dans un château à quelques lieues de Colobrières, il s’avisa de les appeler chez lui et de leur confier les réparations de son manoir. C’étaient des ouvriers italiens, habiles comme des artistes, mais fainéans, rapaces, effrontés et voleurs comme des bohémiens. Ils commencèrent par restaurer la chapelle. Les sculptures mutilées reprirent une forme sous leurs mains intelligentes, les boiseries se détachèrent sombres et polies sur le fond blanc des murailles, et des carreaux de couleur enchâssés dans le plomb des longues vitrières ne laissèrent plus pénétrer dans la vieille nef qu’une lumière mélancolique ; mais le jour où les clés de la chapelle, entièrement réparée, furent remises entre les mains du baron, il ne restait plus dans son dernier sac qu’une vingtaine d’écus, et il dut congédier les ouvriers. Heureusement la baronne avait fait clouer des contrevents à ses fenêtres et habillé de neuf toute sa famille. Elle ne s’étonna point lorsque son mari lui déclara qu’il était à bout de ses fonds ; la pauvre femme était trop habituée à cet état de choses pour s’en inquiéter. Quant au vieux gentilhomme, il observa philosophiquement que, son habit mordoré ayant duré vingt ans et plus, l’habit neuf qu’il venait de se donner devait lui suffire jusqu’à la fin de ses jours. Il lui sembla que désormais il n’aurait plus besoin de dépenser seulement un petit écu. Une longue habitude de se passer à peu près de tout lui avait rendu facile ce mépris des richesses, et c’était de très bonne foi qu’il trouvait plus enviable la condition d’un gentilhomme ruiné, gueux comme lui, que celle du plus opulent roturier. Ses enfans avaient naturellement conçu les mêmes idées, et l’indigence, loin de leur inspirer des sentimens de cupide ambition, les avait rendu fiers, généreux et désintéressés.

Trois mois environ s’étaient écoulés depuis que le baron avait signé l’acte de vente qui transmettait le fief de Belveser à Mme Maragnon.