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allumé, il y jeta fièrement les cadeaux d’Agathe. La baronne faisait de grands soupirs en voyant les pièces d’étoffe disparaître au milieu des flammes, elle calculait tout ce qu’on aurait pu faire de vêtemens neufs avec ces belles choses qui bientôt ne furent plus qu’une poignée de cendres ; mais elle connaissait trop bien son mari pour hasarder la moindre observation, elle savait que le digne gentilhomme aurait mieux aimé vêtir ses enfans d’une peau d’agneau, comme on représente le petit saint Jean, que de les habiller avec les cadeaux de noces de Pierre Maragnon. Elle serra en gémissant les six livres quinze sous qui s’étaient retrouvées intactes dans la bourse, et, considérant que tout ce malheur était venu de l’idée qu’elle avait eue de dépenser ses économies, elle se promit bien d’être plus avisée et plus prudente à l’avenir. L’exemple d’Agathe la tint d’ailleurs éveillée sur le sort de ses filles : les cinq aînées ne virent pas fleurir leurs dix-huit ans dans le château paternel, et, bien avant l’âge où leur tante aima mieux épouser un roturier que de prendre le voile, elles étaient cloîtrées et avaient fait leurs derniers vœux.

La baronne songea tout le jour aux nouvelles que lui avait apportées son mari. Elle en était tout émue d’étonnement et de joie, car son indignation contre sa belle-sœur était depuis long-temps apaisée, et, au fond de l’ame, elle lui avait pardonné sa faute. Elle n’avait pas l’espoir d’amener son mari aux mêmes sentimens d’indulgence, mais elle se disait, et c’était beaucoup dans ses idées, que du moins à l’avenir elle oserait prononcer devant lui le nom d’Agathe, et qu’elle pourrait encore avoir de ses nouvelles.

Le même jour, après souper, lorsque la Rousse eut ôté le couvert, et que Gaston s’en fut allé avec sa sœur se promener au clair de lune sur la terrasse, le baron recommença à siffler ses fanfares mezza voce en battant la mesure sur la table ; cette fois, Mme de Colobrières ne s’endormit pas ; elle attendit ce qui allait encore surgir de cette préoccupation. Elle se figurait que le baron songeait encore à sa sœur Agathe. Au bout d’un quart d’heure, il se renversa au dossier de sa chaise avec un grand soupir, et dit tristement :

— Ma femme, ne vous êtes-vous pas aperçue, la nuit dernière, qu’il pleuvait dans notre chambre comme en plein champ ?

— Voilà bien des années que je m’en aperçois chaque fois qu’il fait mauvais temps, répondit-elle en soupirant aussi.

Le baron réfléchit encore un peu, puis il reprit : — Je ne sais comment on pourrait remédier à cela. — Je le sais, moi, répliqua la