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faites-moi l’honneur de choisir tout ce qui sera à votre convenance ; vous paierez plus tard.

Agathe secoua la tête avec un geste de remerciement et de refus ; mais le marchand insista :

— Vous acquitterez cette petite dette dans un an, si cela vous convient, mademoiselle, lui dit-il ; dans un an je reviendrai ici.

— Alors je n’y serai plus, répondit Mlle de Colobrières d’un ton mélancolique ; là où je vais, on n’a plus besoin de pompons et de fichus de soie, l’on a une robe de laine noire qui dure toute l’année, et un voile qu’on ne change jamais.

— Vous entrez au couvent, mademoiselle ? dit le marchand avec une expression contenue de surprise et d’intérêt.

— Oui, bientôt, et réellement je n’ai pas besoin de toutes ces parures, répondit-elle toujours du même ton triste et résigné ; cherchez, je vous prie, pour moi, ce que vous avez de plus simple.

Le colporteur alla, pour la satisfaire, ouvrir un ballot rangé au fond de la salle. Tandis qu’il cherchait, Agathe s’amusait à regarder les marchandises entassées devant elle. Parmi les coffrets, les cartons et les assortimens de mercerie, elle avisa un portefeuille qu’elle se mit à parcourir avec curiosité. C’était une collection d’assez belles gravures. La plupart représentaient des scènes gracieuses, des bergeries où les amours joufflus et les tendres déités de l’Olympe se jouaient avec de mignardes pastourelles et d’innocens bergers ornés de rubans roses ; mais au milieu de ces compositions galantes et champêtres il s’en trouva une d’un genre différent, et qui frappa singulièrement Mlle de Colobrières. L’artiste, saisi d’une lugubre inspiration, avait peint dans toute son horreur une scène de la vie cloîtrée. Entre les murs humides d’un caveau qu’éclairait à peine une lampe près de s’éteindre, on voyait une religieuse couchée sur son lit de paille. Elle expirait au fond de l’in-pace, et ses mains débiles, ses yeux atones, se tournaient vers le ciel avec une expression indicible ; comme le roi-prophète, elle semblait s’écrier du fond de cet abîme et implorer sans espoir les miséricordes divines.

Agathe considéra cette funèbre image d’un regard épouvanté ; tout ce qu’il y avait dans son ame de répugnance pour la vie monastique, d’horreur pour les vœux qu’elle allait prononcer, se réveilla violemment. Elle laissa tomber la gravure sur ses genoux et fondit en larmes. Le marchand revint vers elle à ce moment. À la vue de l’estampe, il comprit le motif de cette explosion de douleur, et dit d’une voix