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De même aussi qu’à cette époque, le clergé trouva un concours inattendu dans ses adversaires naturels, les Wallons, dont les tendances toutes françaises venaient d’être retrempées dans une communauté nationale de vingt ans. Guillaume avait été plus imprudent encore que Joseph II. Rêvant une fusion prématurée, sinon impossible, il frappa l’idiome français d’une sorte de mort civile, et les Wallons, blessés dans leurs susceptibilités de race, se rapprochèrent de l’opposition ultramontaine. L’insuffisance des garanties judiciaires et des droits électoraux, les persécutions dirigées contre la presse, l’inégale répartition des travaux publics, et surtout un népotisme inintelligent qui livrait aux Hollandais la plupart des emplois, à l’exclusion des Belges, toutes ces causes réunies cimentèrent la coalition de l’esprit philosophique et de l’esprit théocratique, des Wallons et des Flamands, et rendirent inefficace l’arrêté du 7 juin 1829, qui laissait à peu près facultatif l’usage du français.

Guillaume mesura bientôt l’étendue de sa faute. Cette minorité libérale qu’il s’était si gratuitement aliénée prit, en 1830, la tête du mouvement. Pactisant par sa haine avec les ultramontains flamands, par ses vœux politiques et ses sympathies avec l’ancienne opposition française, elle fut médiatrice entre ces deux influences hostiles, et rattacha la révolution de septembre à la révolution de juillet.

Après la victoire commune, il y eut un moment d’hésitation et un commencement de rupture. Le clergé craignait l’intervention française, qui le subordonnait à la minorité, lui arbitre de trois millions de volontés et principal moteur de la révolution ; il craignait surtout pour le libéralisme belge le contact de ce libéralisme français, encore empreint de ses vieilles défiances contre le parti prêtre. Une nouvelle coalition le sauva. Dès le lendemain de la révolution, les libéraux belges se partagèrent en modérés et en radicaux : les premiers, peu nombreux, peu homogènes, mais copiant déjà leur programme sur celui de notre gouvernement, et tous, moins un, M. Nothomb, pénétrés de ce fait, que l’alliance des deux oppositions, libérale et ultramontaine, n’avait été pour celle-ci qu’un expédient ; les autres, exploitant la surexcitation révolutionnaire des masses au profit d’un libéralisme effréné, mais non moins intéressés que le clergé à neutraliser l’influence française, qui excluait le radicalisme. Le clergé se jeta résolument dans ce dernier parti, où il avait déjà des intelligences : deux journalistes républicains, alors très à la mode, et dont l’un siégeait au gouvernement provisoire, MM. de Potter et Bartels, avaient chaudement épousé, sous le dernier régime, la cause des évêques