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habilement mis à profit la terreur inspirée par le Tuqenbund en 1819 ; l’évènement de Francfort, la fête de Hambach, ont été pour lui d’utiles occasions qu’il a saisies le plus naturellement du monde, et en dissimulant sa joie. Il s’agissait de lutter contre de glorieux souvenirs, contre les nobles émotions communiquées aux peuples par de grands ministres ; il fallait ruiner l’influence de Stein et de Hardenberg ; il a réussi à force d’habileté et de ruse. Or, voilà maintenant que l’esprit de Stem ressuscite et que tous les cœurs sont agités. Le savant stratégiste ne s’est pas jeté sur l’ennemi ; il a fait semblant de ne pas le voir, attendant l’occasion de le frapper. L’occasion est venue bientôt. Une émeute religieuse éclate, l’église évangélique est tourmentée par une crise profonde : c’est alors que M. de Metternich a vu Frédéric-Guillaume IV.

Certes, la position, de M. de Metternich paraît puissante, sa politique semble solidement assurée ; eh bien ! non : malgré tant de victoires remportées depuis le congrès de Vienne sur le mouvement libéral des esprits, M. de Metternich a subi, il y a quelques l’échec le plus grave ; il a été battu dans une occasion décisive, et, si le vieux diplomate se réveille si vivement aujourd’hui, c’est qu’il croit voir chanceler l’œuvre de toute sa vie. Quelle a été cette œuvre accomplie si laborieusement et compromise aujourd’hui ? Il faut le dire en peu de mots.

M. de Metternich, en faisant une guerre si vive aux idées nouvelles, poursuivait manifestement deux buts : il voulait ruiner la cause libérale, et en même temps arracher à la Prusse la suprématie qu’elle aurait promptement conquise. La Prusse, depuis Frédéric-le-Grand, représentait la science, la pensée ; elle était comme le cœur énergique de l’Allemagne ; eh bien ! que le gouvernement prussien fît un pas de plus dans cette voie, qu’il accordât une tribune, aussitôt les successeurs de Frédéric II devenaient les chefs de l’Allemagne constitutionnelle. La grande affaire pour le prince de Metternich, c’était d’empêcher cet évènement : par là, il détruisait du même coup et les espérances du parti libéral et l’influence future de la maison de Brandebourg. N’est-ce pas là ce qui arriva en effet ? Nous avons dit tout à l’heure quelle était la situation des états constitutionnels, depuis qu’ils avaient perdu l’appui de la Prusse ; nous avons montré comment l’esprit libéral recula dans le Hanovre, dans la Hesse électorale, en Bavière, dès que le gouvernement prussien eut ajourné l’exécution de ses promesses. M. de Metternich triomphait donc, et, je le répète, il triomphait deux fois ; il comprimait les idées nouvelles et désarmait le cabinet de Berlin.