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Je dis que cette révolution est déjà faite dans les esprits ; je dis que les partis se forment et se combattent, comme si la chambre était ouverte à Berlin et que les chefs eussent déjà inauguré la tribune. Cela n’empêche pas assurément de reconnaître les difficultés sérieuses qui s’opposent encore à l’accomplissement du vœu public. Quelles sont les dispositions de Frédéric-Guillaume IV ? Quel obstacle le parti constitutionnel doit-il rencontrer dans l’influence de l’Autriche, dans l’habileté si redoutable du prince de Metternich ? Voilà, certes, des questions graves. J’essaierai d’indiquer où en est aujourd’hui l’Allemagne ; j’essaierai de découvrir dans le caractère de Frédéric-Guillaume, dans la politique du cabinet de Vienne, les chances diverses qui peuvent préparer ou retarder le succès du parti constitutionnel. Examinons d’abord ce parti lui-même, sachons bien quelles sont ses forces, donnons-nous enfin, ce spectacle que j’annonçais tout à l’heure, le spectacle d’un pays qui, impatient, avide des libertés promises, n’attend pas l’heure où ces libertés doivent lui être accordées, et suscite par avance des représentans pour délibérer comme à la tribune. C’est là l’intérêt véritable de la situation. Je n’ignore pas quelle large part est laissée à l’action de la diplomatie ; mais, ne l’oublions pas cependant, nous ne sommes plus au temps où la diplomatie toute seule règle et conduit les affaires humaines. Ce n’est qu’avec le concours de il lui est ordonné de tenir un compte sérieux des idées, de l’esprit public, du mouvement de la société. C’est ce mouvement, toujours plus vif, plus hardi, que je veux interroger à Berlin, avant de connaître ses chances de succès ou de discuter les oppositions qui le menacent.

L’avènement de Frédéric-Guillaume IV, en 1840, est une date féconde dans l’histoire contemporaine de la Prusse. L’esprit public, long-temps endormi, se réveilla ; il y eut comme un frémissement généreux dans toute l’Allemagne du nord ; mille espérances, mille projets animèrent les cœurs ; on eût dit l’aurore d’une journée glorieuse. D’où venait ce réveil joyeux, cette vie soudaine ? De deux causes particulièrement. D’abord le nouveau roi devait s’attendre aux sérieuses réclamations que le respect du peuple avait épargnées à son père. Si la nation prussienne avait craint d’affliger les derniers jours d’un vieillard éprouvé si souvent, les demandes, long-temps contenues, pouvaient enfin se faire entendre ; 1840 devait acquitter les promesses de 1815. Ce n’est pas tout : au moment où le roi de Prusse montait sur le trône, des bruits de guerre se répandaient ; la France, trahie par l’Europe, lui jetait un défi par les voix irritées de la presse, et