Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 12.djvu/56

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

poussé violemment le pouvoir dans une voie réactionnaire ; mais c’est par l’exagération contraire, par le radicalisme, qu’ils se sont imposés à lui. Les libéraux ne cessent pas d’incriminer l’arbitraire du pouvoir ; mais leur faiblesse, ils le comprennent et l’avouent, a tenu au peu de latitude de la prérogative royale et au libéralisme trop développé des institutions. Ceux-ci ont voulu la liberté par la réaction monarchique, ceux-là ont marché à l’absolutisme par la liberté, et le pouvoir royal, déshérité par la constitution de toute initiative efficace, a été souvent réduit à devenir l’instrument de ses adversaires contre ses alliés naturels.

Nous suivrons pas à pas ces bizarres évolutions sans reculer devant la futilité apparente de certains détails : tous, les moindres comme les plus significatifs, ont pour excuse l’à-propos. Ils apprendront à la fraction extrême du clergé français quelle dangereuse solidarité elle accepte, quels aveux compromettans elle fait en demandant « la liberté comme en Belgique. » Ils rassureront certains libéraux qui s’exagèrent l’habileté et les ressources du parti ultramontain. Convaincre les uns que la liberté comme en Belgique, c’est la négation, au profit de l’église, de la prérogative gouvernementale, de l’indépendance parlementaire, de l’égalité électorale, des garanties administratives, des droits de la famille et de ceux du citoyen ; montrer aux autres l’ultramontanisme belge succombant par ses propres armes, et déjà réduit à se défendre lui-même contre les libertés qu’il a faussées, les abus qu’il a érigés en loi, tel est le but que nous voudrions atteindre en nous adressant au bon sens des deux partis.

Trois faits principaux appelleront notre examen. Nous verrons, le clergé belge réclamer d’abord la suprématie au nom des vieilles idées politiques et religieuses, puis la chercher, en désespoir de cause, dans les idées nouvelles, dans la liberté. Nous le verrons ériger la liberté en monopole, aussitôt qu’il l’aura conquise. Nous verrons enfin les libéraux belges, frappés d’impuissance dans le gouvernement, dans les chambres, dans l’administration, dans le système politique tout entier, aider eux-mêmes à leur propre ruine, descendre de faute en faute au dernier degré de la faiblesse, de l’inhabileté, du discrédit, et, arrivés là, regagner en deux ans presque tout le terrain qu’ils avaient perdu en douze ans de défaites non interrompues, comme pour démontrer à l’Europe catholique que l’abus engendre forcément la réaction ; que la théocratie est incompatible avec le siècle, que les idées de liberté, de modération, d’équilibre sont encore, plus fortes que les hommes et les évènemens.