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trop vers le style fiorito, et de travailler par là à la restauration du plus détestable fléau de la méthode rossinienne, fléau dont Bellini semblait avoir purgé le monde. Ainsi, pour les roulades, le rôle d’Abigaille appartient tout-à-fait à l’ancienne école italienne. Ajoutons que Mlle Teresa Brambilla par la nature de sa voix et les conditions de son talent, vient encore exagérer cette manière d’il y a vingt ans, que nous regrettons sincèrement de voir renaître. La voix de Mlle Brambilla, d’une vibration excellente, et surtout d’une admirable justesse dans les notes élevées, se trouve assez médiocrement partagée du côté du medium. Il n’en faut pas davantage pour s’expliquer les préférences le la cantatrice, et comment le style orné, fleuri, brillanté, lui convient mieux que l’expression. Ce que nous disons de la virtuose peut également s’adresser à l’actrice. Active, intelligente, chaleureuse, elle brûle les planches, pour parler le jargon des théâtres ; elle a de l’énergie, du feu, de la passion, mais point d’ame, et cependant la Brambilla réussit, on l’adopte, tant le vrai sang italien qui bouillonne dans ses veines donne d’originalité à sa physionomie. Je ne serais pas étonné que le public du Théâtre-Italien fît de la Brambilla, je ne dirai point sa passion, mais son caprice de l’hiver. Pourquoi la Brambilla réussit, nul ne le sait au juste. Quelques dilettanti purs vous vanteront son trille, qui est admirable ; mai croyez bien que ce qui fait aujourd’hui le succès de cette étrange personne, c’est l’excentricité, ce geste indépendant, cette voix fière, et tout ce diable au corps dont son œil étincelle à travers ses épaisses grappes de cheveux noirs. Du reste, cet incroyable aplomb de la Brambilla sur la scène, ce penchant vers le décidé qui caractérise sa nature, devaient nécessairement exclure, on l’imagine, l’expression de tendresse et de mélancolie. Vainement vous demanderiez une inflexion douce et voilée à cette voix pure, froide et brillante comme l’acier ; il est vrai que ce rôle d’Abigaille ne prêtait guère à l’élégie. N’importe : si la Brambilla avait en elle la corde sentimentale, elle eût dit autrement qu’elle ne le fait sa phrase à Ismaël au premier acte :

Io t’amava ! Il regno, il core
Pel tuo core io dato avrei !


Et je doute, avec l’espèce de voix cuirassée qu’elle possède, que ce rôle d’amazone ne soit pas le plus beau de son répertoire. On conçoit maintenant tout ce qu’une semblable apparition devait avoir de piquant pour un public dès long-temps accoutumé au pathétique de la Grisi, à cette ampleur tragique, à cette majesté dont le calme souverain ne se dément jamais. On a parlé de rivalité ; entre la Giulia et Teresa Brambilla tout parallèle sérieux est impossible. Aujourd’hui comme hier la Grisi règne sans partage ; ce n’est donc pas une rivale qui lui vient, c’est un contraste.

Pour revenir à Nabucodonosor et conclure, je le répète, c’est l’œuvre d’un maître. Cependant, s’il fallait nous prononcer entre cette partition et l’Ernani