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à autre d’heureuses compensations ne venaient pas corriger ses emportemens. Le Sun désavouait dernièrement ces écrivains sans pudeur qui n’ont pour la France que les plus grossières invectives. Deux jours auparavant, le Times, comme pour protester contre les indignes attaques que le Quarterly Review vient d’adresser à M. Thiers, s’est exprimé, sur le voyage récent de ce dernier en Angleterre, avec une élévation que nous ne saurions trop louer. Si la presse anglaise prenait l’habitude de traiter les choses et les hommes avec cette justice et cette sagacité, que de malentendus entre les deux pays pourraient être évités ! « Le principal personnage de l’opposition française, dit le Times à l’exemple des souverains et des hommes d’état de notre temps, a visité l’Angleterre. Nous ne pouvons pas être insensibles au désir manifeste que montre M. Thiers de désavouer, par ce voyage, les préoccupations hostiles qu’on lui a si généralement et, nous devons ajouter, si naturellement attribuées, en le jugeant sur sa conduite comme homme public, et d’après ses écrits les plus récens ; mais, lorsqu’un homme aussi éminent dans l’ordre politique et dans la littérature met le pied sur le sol anglais, ce ne sont pas des antagonistes ni des critiques qui le reçoivent. La courtoisie qui est naturelle à des hommes bien élevés, lui a valu un accueil non-seulement distingué, mais cordial, et il y a répondu de la manière la plus convenable partout où la courte durée de son séjour lui a permis de se rendre. M. Thiers semble n’avoir eu d’autre but, en supposant que sa visite ait un but politique, que d’effacer le souvenir d’anciens différends, et de se placer ici dans des termes également bienveillans pour tous les partis. Il a été invité avec la même courtoisie chez lord Lansdowne et chez lord Ashburton ; il a eu des conférences avec lord Palmerston et une longue entrevue avec lord Aberdeen. Il serait absurde de tirer des inductions trop profondément politiques de cet échange de civilités qui n’ont pas franchi le cercle de la vie privée ; nous n’y faisons allusion que comme à une circonstance qui peut nous servir à rappeler un principe trop négligé : rien n’est plus propre à compromettre nos relations amicales vis-à-vis des nations voisines avec lesquelles il est dans nos voeux, il est de notre intérêt et de notre devoir de vivre en paix, qu’une prédilection imprudente ou exclusive pour un parti plutôt que pour un autre dans un pays étranger. Rattacher la politique de laquelle dépend la paix du monde à la fortune de tel ou tel ministre au dehors, c’est bâtir sur des fondemens bien fragiles. Sans ouvertement prendre pari aux luttes des partis dans les autres états, il est essentiel de nous préparer à vivre dans les meilleurs termes avec tous les gouvernemens existans. » Cette impartialité politique de bon goût, qui a si bien inspiré le Times, nous dirions volontiers que M. Thiers lui en a donné l’exemple par l’attitude pleine à la fois de loyauté et de réserve qu’il a su prendre tant en Angleterre qu’en Espagne. En France, M. Thiers a ses principes et ses opinions politiques, et l’on sait avec quelle franchise il les exprime et les sert. Hors de son pays, M. Thiers n’est d’aucun parti ; sans renoncer à ses sympathies intimes, il ne se croit pas le droit de se prononcer pour l’une ou l’autre des opinions qui se disputent constitutionnellement le pouvoir.