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suaves odeurs du sillon. Les plus satiriques eux-mêmes n’y manquent pas, et l’on sait combien M. Henri Heine a effeuillé de ces fraîches marguerites. Chez M. Dingelstedt, le plaisir que causent ces vers aimables n’est jamais inquiété par la crainte des contrastes ironiques si fréquens chez l’auteur des Reisebilder ; on peut se laisser charmer par ses mélodies sans redouter les interruptions moqueuses de Candide et de Zadig. Cependant l’auteur sait échapper à l’uniformité de cette inspiration printanière ; il y échappe non-seulement par l’habileté du rhythme, par les ressources de sa parole flexible et riche, mais surtout par le mouvement, par les péripéties de ce petit drame où il joue son rôle avec une gracieuse émotion. D’ailleurs, amour, souffrance, c’est même chose le plus souvent, et bientôt après les premiers amours voici les premières douleurs, Erste Liebe, Erste Leiden.

Tout cela pourtant n’est que le prélude, et nous arrivons aux sérieuses inspirations qui déjà ont assuré au jeune poète une célébrité légitime. Le rêveur amoureux est interrompu dans ses fantaisies par les évènemens publics ; ce sont des perfidies qu’il faut flétrir, de nobles dévouemens dont il importe de consacrer la mémoire. Parmi ses chants patriotiques, Vaterlandische Gedichte, je recommande la belle pièce sur la captivité de Jordan. Le poète, avec ses amis, se promène dans la cour du vieux château de Marbourg ; ils cherchent à découvrir la fenêtre du prisonnier, et tout à coup ils l’aperçoivent lui-même, derrière les barreaux de fer, le visage pâle, amaigri, le regard vaguement plongé dans les brumes lointaines de l’horizon, et c’est à lui que le poète envoie ses strophes toutes frémissantes. M. Freiligrath, tout récemment, dans sa Profession de foi, a été heureusement inspiré aussi par ces iniquités odieuses dont M. Jordan a été victime ; il a peint avec une grace douloureuse la mort de la petite fille du prisonnier ; il a montré l’enfant qui monte au ciel, et tous les généreux citoyens, tous les libres penseurs de l’Allemagne, Schiller, Seume, Schubart, qui s’empressent au-devant d’elle et la consolent. Les vers de M. Dingelstedt, écrits en 1840 et devenus populaires en peu de temps, ont été le premier cri de l’indignation publique. J’aime beaucoup encore les belles strophes adressées aux frères Grimm, aux Dioscures allemands, comme les appelle le poète. Les frères Grimm sont des enfans de la Hesse, et c’est à M. Dingelstedt, en effet, qu’il appartenait de célébrer ce noble nom. L’élévation de leur caractère, le rôle excellent de cette érudition loyale et toute dévouée à la patrie, la fermeté de leur conduite à Goettingue, tout cela fournissait au poète une occasion féconde dont il a bien su profiter.

Ces brillantes pages, et d’autres encore, animées des sentimens les