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fait pour nous effacer entièrement. On a bien voulu pourtant nous mettre en cause : dans une biographie de Benjamin Constant, qui fait partie de la Galerie des Contemporains illustres, par un Homme de rien, le spirituel auteur (M. de Loménie) a cru devoir, en se déclarant le champion de Benjamin Constant, faire de nous un adversaire de l’illustre publiciste, et nous prendre à partie sur les notes et réflexions qui accompagnaient les lettres produites, comme si elles étaient en désaccord criant avec les textes mêmes. S’il s’était contenté de nous trouver un peu sévère, un peu rigoureux ce jour-là, nous nous abstiendrions de réclamer, ne pouvant trouver étonnant qu’on nous rendît à nous-même ce dont nous usions envers un autre ; mais la manière dont M. de Loménie présente l’ensemble de notre opinion, et dont il la combat dans les moindres détails, nous obligeait à dire tôt ou tard quelques mots, sous peine de paraître battu, ce qui est toujours désagréable quand on sent qu’on ne l’est pas. Hier encore, un estimable journal, du très petit nombre de ceux dont les jugemens comptent, le Semeur[1], tout ému de charmantes lettres d’amour écrites en 1814 par Benjamin Constant, et dont M. de Loménie a publié des extraits, semblait en conclure que nous avions perdu notre cause, comme si nous nous étions mêlé de cette délicate matière, et comme si nous avions rien dit qui pût faire injure à ces tendres billets. Et puis, l’opinion de M. de Loménie est une autorité en matière de biographie ; ses notices, si modestement commencées il y a quelques années, ont fait leur chemin ; elles sont lues partout, et elles le méritent. Dans cette voie si périlleuse de la biographie contemporaine, il a su éviter les écueils de plus d’un genre, et atteindre le but qu’il s’était proposé : de la loyauté, de l’indépendance, aucune passion dénigrante, de bonnes informations, la vie publique racontée avec intelligence et avec bon sens, la vie privée touchée avec tact, ce sont là des mérites dont il a eu l’occasion de faire preuve bien des fois en les appliquant à une si grande variété de noms célèbres tant en France qu’à l’étranger ; cela compense ce que sa manière laisse à désirer peut-être au point de vue purement littéraire, et ce qui doit manquer aussi à ses jugemens en qualité originale, car l’étendue même de son cadre lui impose un éclectisme mitigé. Pourtant tout biographe contemporain a, quoi qu’il fasse, ses complaisances ; nous le savons mieux que personne, et nous savons bien aussi que les complaisances de M. de Loménie seraient volontiers les nôtres. Pourquoi nous oblige-t-il cette

  1. 8 octobre 1845.