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fonds de sottise, pour se figurer qu’on la charme avec de pareils ingrédiens. Croyez-vous que ce soit bien divertissant de passer sa vie au milieu d’un déluge de fadaises, et d’avoir du matin au soir les oreilles pleines de balivernes ? Il me semble, en vérité, que, si j’étais homme et si je voyais une jolie femme, je me dirais : Voilà une pauvre créature qui doit être bien assommée de complimens ; je l’épargnerais, j’aurais pitié d’elle, et, si je voulais essayer de lui plaire, je lui ferais l’honneur de lui parler d’autre chose que de son malheureux visage. Mais non, toujours : « vous êtes jolie, » et puis « vous êtes jolie », et encore jolie. Eh ! mon Dieu, on le sait bien. Voulez-vous que je vous dise ? vous autres hommes à la mode, vous êtes des confiseurs et des perruquiers.

LE COMTE

Eh bien ! madame, vous êtes charmante, prenez-le comme vous voudrez. (On entend la sonnette.) On sonne de nouveau adieu, je me sauve.

(Il se lève et ouvre la porte.)
LA MARQUISE

Attendez donc, j’avais à vous dire… je ne sais plus ce que c’était… Ah ! passez-vous par hasard du côté de Fossin, dans vos courses ?

LE COMTE

Ce ne sera pas par hasard, madame, si je puis vous être bon à quelque chose.

LA MARQUISE

Encore un compliment ! Mon Dieu, que vous m’ennuyez ! C’est une bague que j’ai cassée ; je pourrais bien l’envoyer tout bonnement, mais c’est qu’il faut que je vous explique. (Elle ôte sa bague de son doigt) Tenez, voyez-vous, c’est le chaton. Il y a là une petite pointe, vous voyez bien, n’est-ce pas ? Ça s’ouvrait de côté, par là ; je l’ai heurté ce matin je ne sais où, le ressort a été forcé.

LE COMTE

Dites donc, marquise, sans indiscrétion, il y avait des cheveux là dedans ?

LA MARQUISE

Peut-être bien. Qu’avez-vous à rire ?

LE COMTE

Je ne ris pas le moins du monde.

LA MARQUISE

Vous êtes un impertinent ; ce sont des cheveux de mon mari. Mais je n’entends personne. Qui avait donc sonné encore ?

LE COMTE regardant à la fenêtre.

Une autre petite fille, et un autre carton. Encore un bonnet, je suppose. A propos, avec tout cela, vous me devez une confidence.