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l’opposition, chance plus grande qu’elle ne le paraît d’abord : c’est que sir Robert Peel se lasse, et que de son plein gré il quitte le ministère. Des personnes graves qui l’ont vu l’hiver dernier, pendant la crise, disent qu’il s’en montrait, non pas inquiet, mais sérieusement affligé et blessé. Les placards qui couvraient les murs, les caricatures qui s’étalaient dans les boutiques, les articles de journaux et les discours qui se publiaient chaque jour, tout ce concert d’injures à sa personne, d’outrages à son caractère, l’irritait et lui inspirait un profond dégoût du pouvoir. Pas un parti qui le prît sous sa protection, pas un journal, si ce n’est le sien propre, qui le défendit, pas un homme public qui ne se crût en droit de le traiter d’apostat. Sûr comme il l’était de l’utilité de ses mesures, de la droiture de ses intentions ; un tel soulèvement devait le porter, non pas à reculer, mais à rejeter sur ceux qui l’attaquaient avec si peu de mesure le fardeau et les difficultés des affaires. Si d’ailleurs il souffrait de l’abandon et des attaques violentes d’une portion de ses amis, il souffrait presque autant de l’appui et des éloges souvent ironiques de ses ennemis. Ces éloges néanmoins, il fallait les subir aussi patiemment que les attaques, et sa fierté s’en indignait. Pourtant le soin de sa dignité personnelle et l’intérêt de son pays voulaient qu’il l’emportât. Aujourd’hui qu’il l’a emporté, il est, dit-on, décidé à ne plus soutenir une lutte semblable. Il est décidé à se retirer le jour où une portion notable de sa majorité le quitterait. Ce jour-là sans doute, sir Robert Peel croirait à son honneur et de son devoir de rendre à lord John Russell l’appui généreux qu’il a reçu de lui. Le parti whig alors recueillerait le fruit de sa bonne conduite et pourrait gouverner.

Quoi qu’il en soit, au milieu de nos misères et de nos petitesses, l’Angleterre nous donne un grand et noble spectacle. Pas plus qu’en France on n’y est insensible aux progrès matériels et au développement de la richesse ; pas plus qu’en France les intérêts privés n’y sont muets ou inactifs ; pas plus qu’en France la corruption, sous une forme ou sous l’autre, ne s’y arrête au seuil des collèges électoraux et même du parlement. A travers tout cela, il y a pourtant des idées morales qui agitent les esprits et qui remuent les cœurs, des intérêts généraux qui font oublier les intérêts personnels. Quelquefois ces idées sont bien étroites, ces intérêts bien mal entendus ; mais en face alors surgissent d’autres idées plus larges, d’autres intérêts mieux compris, lui s’emparent de toutes les intelligences élevées et qui finissent par triompher. Ce n’est point en Angleterre, d’ailleurs, qu’on verrait toutes les notions de justice et de liberté foulées aux avec mépris par ceux-là même dont elles ont fait la fortune ; ce n’est