Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 12.djvu/453

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

gratuitement, que le blé étranger pût arriver en assez grande abondance pour rétablir l’équilibre. Dieu sait alors ce qui arriverait et à quelles extrémités le désespoir pousserait huit millions d’hommes affamés. Dieu sait aussi combien de ces huit millions d’hommes il en resterait au moment de la nouvelle récolte. Il faut espérer encore que le mal est moins grand qu’on ne le dit, et que la Providence ne réserve pas au problème qui préoccupe tous les hommes politiques depuis cinquante ans une solution si douloureuse.

L’Angleterre et l’Écosse paisibles à la surface, mais sourdement remuées par la passion religieuse, l’Irlande menacée d’un horrible fléau et livrée à deux agitations contradictoires en tout, si ce n’est en un point, l’hostilité systématique au gouvernement : telle est la situation. Maintenant j’aborde la double question que je me suis posée : que faut-il penser de la conduite de sir Robert Peel ? quelle est sa force dans le parlement, quelle chance a-t-il de rester premier ministre ?

Il faut d’abord le reconnaître franchement : oui, sir Robert Peel est arrivé au pouvoir avec l’aide, sur les bras du parti agricole et prohibitif d’une part, du parti anti-irlandais et anti-catholique de l’autre ; oui, depuis que sir Robert Peel est premier ministre, le parti agricole et prohibitif, le parti anti-irlandais et anti-catholique, ont perdu plus de terrain qu’ils n’en avaient perdu à aucune époque et sous aucun cabinet. D’un autre côté, il n’est pas besoin d’être rigide sur les principes du gouvernement représentatif pour dire que ce gouvernement serait une honteuse comédie, si les partis n’avaient pas pour lien certaines opinions, certaines idées qu’ils sont tenus de faire prévaloir autant qu’il est en eux lorsqu’ils arrivent au pouvoir. Il n’est donc pas permis, comme cela s’est vu, d’attaquer une politique qu’on approuve pour renverser un ministère qui déplaît. Il n’est pas permis non plus d’adopter une politique qu’on n’approuve pas pour déjouer une opposition qu’on redoute. Tout cela est de l’intrigue, de la basse intrigue, et aucun homme qui se respecte ne voudrait prendre ou conserver le pouvoir à ce prix.

Il semble, d’après cela, qu’il n’y ait rien à retrancher des reproches, des injures adressés par les divers partis à sir Robert Peel. Il semble du moins que sa seule excuse soit dans la grandeur de son œuvre et dans le succès qu’elle obtient ; Voyons pourtant si, même au point de vue moral, il n’y a pas quelque chose à dire en sa faveur. Ce n’est pas d’aujourd’hui je l’ai dit tout à l’heure, que les vieux partis en Angleterre tendent à se décomposer, et personne n’a oublié que l’illustre Canning, au moment de sa mort, était à la tête d’un ministère tory