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voir, les uns le firent de bonne grace, les autres en tirant du ministre qui les plaçait dans cette situation une vengeance cruelle.

Tel était l’état des choses quand le jour fort attendu de la seconde lecture arriva. Ce jour-là, la foule entourait les avenues du parlement ; les couloirs étaient remplis de ministres et de laïques, délégués par les diverses congrégations ; les tables et le plancher de la chambre pliaient sous le poids de plusieurs milliers de pétitions. En outre, des députations de divers collèges électoraux étaient là surveillant les membres qui représentaient ces collèges, et leur apportant sommation sur sommation. C’est alors qu’un des membres les plus zélés du parti protestant, M. Colquhoun, appuyé par M. Grogan, proposa l’ajournement à six mois. Aussitôt après, M. Gladstone se leva, M. Gladstone, l’ancien champion de la haute église, M. Gladstone, qui avait quitté le cabinet notoirement à cause du bill de Maynooth ; M. Gladstone, le dernier espoir du parti ultra-protestant. Quelle fut donc la surprise, quel fut le désespoir de ce parti, quand, non content de soutenir le bill, M. Gladstone lui donna une bien plus grande portée que tous les orateurs précédens. Selon M. Gladstone, en substituant une allocation annuelle, la chambre allait voter un grand principe, celui du paiement du clergé catholique. On pouvait sans doute hâter ou retarder le jour où cette mesure aurait lieu, mais désormais aucune objection religieuse ne pourrait y faire obstacle. M. Gladstone, en terminant, laissa clairement entendre que, s’il avait donné sa démission, c’était pour pouvoir, sans s’exposer à d’injustes reproches, avouer tout haut qu’il avait, depuis 1839, modifié ses opinions.

On comprend l’effet d’un tel discours et le bruit qu’en fit l’opposition. Quand au ministère, il en parut un peu embarrassé. Deux jeunes membres de la nouvelle Angleterre, lord John Manners et M. Smythe, puséistes comme M. Gladstone et par conséquent bienveillans pour l’église catholique, marchèrent hardiment dans la même voie, et complétèrent sa pensée. Selon eux, « rien n’était plus absurde que de vouloir ressusciter les vieux préjugés, et que de voir la religion de l’antéchrist dans l’église catholique, cette branche non tout-à-fait saine, mais vraie, de la grande église universelle. Il était plus absurde encore de reprocher à cette église son esprit exclusif et son intolérance, tout en montrant à son égard tant d’intolérance et un esprit si exclusif. Le protestantisme voulait-il donc emprunter au duc d’Albe son principe, et à Escobar son langage ? Voulait-il ressusciter les