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peu chagrin, ces journaux n’oubliaient qu’une chose, c’est que le découragement des tories, aussi bien que la connivence des libéraux, avait une même origine, la satisfaction générale et l’approbation hautement donnée par le pays au projet du premier ministre.

Dans ce projet pourtant, il y avait une partie vraiment faible. J’ai dit plus haut comment, en 1844, sir Robert Peel, tout en réduisant les droits différentiels sur les sucres, avait trouvé le moyen de ménager l’intérêt colonial et de capter quelques voix abolitionnistes ; Depuis ce moment, la fameuse distinction entre le sucre produit du travail libre et le sucre produit du travail esclave avait reçu un coup dont il paraissait difficile qu’elle se relevât. Un beau jour, un navire de Venezuela était entré à Liverpool apportant une cargaison de sucre, et demandant, en vertu d’un traité qui assure aux produits de Venezuela le traitement des nations les plus favorisées, que ce sucre fût admis au droit réduit de 34 shel. Or, Venezuela est un état à esclaves, ce qui n’empêcha pas le gouvernement de faire, bon gré, mal gré, droit à sa réclamation. Après un tel exemple il semblait que sir Robert Peel n’eût plus qu’à reconnaître qu’il s’était trompé ; il n’en fit rien, et, dans son nouveau tarif des sucres, la distinction fut maintenue. D’après ce tarif, les sucres étrangers produit du travail esclave restèrent frappés d’un droit prohibitif, tandis que le sucre colonial n’avait plus à acquitter que 14 shel. au lieu de 24, et le sucre étranger produit du travail libre, que 23 shel. au lieu de 34. Dans le naufrage de toutes leurs espérances, une telle mesure était pour les whigs une planche de salut dont ils ne manquèrent pas de se saisir. Après une motion radicale le M. Gibson, qui proposait d’égaliser tous les droits sur les sucres coloniaux et étrangers, motion rejetée par 217 voix contre 84, lord John Russell, au nom de l’opposition tout entière, vint donc demander à la chambre de déclarer illusoire et impraticable toute distinction entre le sucre libre et le sucre esclave. Lord John Russell n’eut pas de peine à démontrer qu’il y avait dans une telle distinction absurdité et hypocrisie : absurdité, puisqu’en présence de traités comme celui de Venezuela, il était impossible le la mettre en pratique ; hypocrisie, puisque la mesure ne s’appliquait point aux autres produits du travail esclave, tels que le coton, le tabac et le café, puisqu’en outre, en ce qui concerne le sucre esclave même, ou trouvait bon que ce sucre fût importé sous caution pour être raffiné en Angleterre, puis réexporté et vendu. Lord John Russell en concluait avec raison qu’il ne fallait voir dans le projet ministériel qu’un moyen habile de maintenir le monopole tout en ayant l’air de le supprimer