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ne produiront pas l’effet d’une multitude de volontés déterminées à exécuter isolément dans leur sphère le plus de bien possible. L’artisan, homme de sens et de valeur, qui a écrit ces petits livres, arrive à des conseils pratiques d’une extrême simplicité, mais d’une véritable importance. Il voudrait que les impôts sur l’air, la lumière et les matériaux de charpente devinssent nuls ou presque nuls, et que les moyens sanitaires fussent multipliés dans les grandes villes ; au point de ne rien coûter aux malheureux. Tout le chapitre sur le logement de l’ouvrier est un chef-d’œuvre, et ces petits livres, dictés par l’expérience, la raison et une sensibilité délicate, mériteraient fort qu’on les traduisît en français.

Si de tels livres sont un honneur réel pour l’homme qui les écrit et pour la classe à laquelle il appartient, je ferai, je l’avoue, assez bon marché des prétentions épiques et dramatiques qui ne se résolvent pas en chefs-d’œuvre, persuadé que la moindre chanson de talent fera sa voie et marquera sa place, même chez nos aristocratiques voisins. Ils ont soin d’élever tous ceux qui se distinguent. Ebenezer Elliott vit aujourd’hui comfortablement. Le berger d’Ettrick, le vieux Hogg, a passé ses vingt dernières années à l’abri de tout besoin, dans la meilleure société de Londres et d’Édimbourg, et entouré d’une renommée peut-être supérieure à son mérite. C’est une des souveraines habiletés de l’aristocratie anglaise de favoriser l’ascension du talent, de lui frayer la voie, de lui adoucir la route, d’ouvrir aux capacités redoutables ou utiles un champ libre et fécond. Sous ce rapport, notre démocratie monarchique a beaucoup à apprendre et beaucoup à imiter.

C’est par là que se neutralisent les dangers imminens dont la littérature socialiste, comme on l’a vu tout à l’heure, semblerait menacer l’édifice constitutionnel du pays. Il y a cent à parier contre un que le chartiste Cooper lui-même dont le poème sur les suicides n’est pas assurément un chef-d’œuvre, trouvera, en sortant de prison, un emploi où sa capacité se développera. L’auteur anonyme d’Ernest, homme très jeune encore, dit-on, et fort supérieur à Cooper, est déjà non pas séduit ou corrompu (le mot serait une calomnie), mais employé et absorbé par le mécanisme de cette civilisation puissante, toujours active à corriger les vices de son activité même et à ouvrir des soupapes de sûreté.

Quant à la poésie de la prison, de la pauvreté, de la faim, nous le répétons, elle est, malgré le phénomène exceptionnel de Crabbe, un symptôme politique inadmissible dans le monde de l’art. Quelle muse !