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nous tenons à montrer qu’il sait varier l’emploi de ses moyens et calculer le remède sur la nature des personnes.

Une femme du monde, grande théologienne, s’imaginait avoir sur elle des signes de malédiction divine. M. Leuret arrive chez cette dame ; il la trouve fort concentrée dans ses idées. Cette malheureuse ne cesse de parler de son état ; elle se croit indigne, repoussée de Dieu, damnée. M. Leuret la laisse divaguer tout à son aise. — J’étais venu, lui dit-il enfin, pour vous entretenir de votre mari, de vos enfans ; mais je vois que vous êtes au-dessus de cela. Continuez, madame, de vous livrer à vos rêveries égoïstes. — À ces mots, il se retire, content de lui avoir, pour ainsi dire ; jeté un premier hameçon dans le cœur. Le lendemain, M. Leuret retourne chez cette femme ; il la trouve plus inquiète que la veille. Elle demande des nouvelles de sa famille ; ces nouvelles sont mauvaises. Elle s’alarme, se trouble. Survient une de ses amies qui lui propose de faire une neuvaine ; il s’agit d’arracher à la mort des têtes bien chères. La pauvre folle consent à réciter tous les soirs une prière convenue. Le dixième jour, elle reçoit de son mari une lettre écrite d’une main tremblante : « Je viens d’échapper à un grand danger ; j’ai fait une maladie très grave. Les médecins m’avaient tous condamné ; mais hier, à huit heures du soir, un vrai miracle s’est opéré en moi ; je me suis, pour ainsi dire, senti revenir à la vie. Quoique encore faible, je me porte beaucoup mieux ; je suis sauvé. Nos enfans qui ont été comme moi fort malades, sont aussi rétablis. C’est une faveur inespérée du ciel. » L’effet de cette lettre fut tel qu’on l’avait prévu. La malade ne manqua pas, de réfléchir sur ce qu’elle venait d’apprendre et d’en tirer cette conséquence : Je ne suis donc pas tout-à-fait réprouvée, puisque Dieu m’écoute. De ce jour, la guérison fut certaine. Nous n’avons pas besoin de dire que l’amie était mise en avant par le médecin, et que la maladie du mari, la lettre, le miracle, étaient autant de moyens concertés. Un pareil traitement exige les ressources d’un esprit très ingénieux, et sous ce rapport du moins la méthode de M. Leuret court grand risque de trouver peu de prosélytes.

On voit qu’ici le médecin n’a point attaqué de front l’objet de la folie ; il a pris un détour, il est entré, pour ainsi, dans la place comme par surprise. Il n’est pas toujours nécessaire de recourir à ces ménagemens. La folie, celle de l’orgueil surtout, est envahissante ; si vous ne l’arrêtez tout court, en lui présentant une limite brusque, il est à craindre qu’elle ne se répande et ne gagne sans cesse du terrain. M. Leuret se montre sans pitié pour toutes les illusions, quelles