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milieu du repos et des ténèbres, seule près de son nouveau-né qui dort, elle entend la voix qui parle avec instance, une force inconnue lui pousse le bras ; elle tombe effrayée sur les deux genoux : « Mon Dieu, mon Dieu, ne me faites pas commettre une action horrible ! Voyez comme il dort dans son berceau ; on dirait un ange ou l’enfant Jésus. » Tout se tait ; elle se recouche, et essaie de rappeler le sommeil. « Non, reprend la voix, non, cela ne finira pas ainsi : lève-toi, prends cette arme, et fends la tête de ton enfant. » La malheureuse mère est saisie d’effroi, elle veut s’enfuir, une puissance invincible la retient et la pousse sans cesse vers l’enfant endormi. D’une main tremblante elle ramasse la hache qui est dans un coin de la chambre, et recule. « Achève, dit la voix, frappe ! frappe ! » Le visage de cette femme est noyé de pleurs ; pâle, effarée, tremblante, elle immole alors ce qu’elle aime le plus au monde. A peine cette femme a-t-elle obéi, que l’hallucination se dissipe ; réveillée comme en sursaut de son état d’aveuglement par cette affreuse secousse, la pauvre mère étend ses bras et reconnaît alors ce qu’elle a fait. La raison revient toujours en pareil cas pour éclairer d’une lueur sinistre et tardive les actes irréparables du délire.

Des faits de la nature de celui que nous venons de raconter se renouvellent constamment. Il n’y a pas un demi-siècle que la loi confondait dans ses châtimens tous les auteurs de ces actes coupables, sans remonter à la source de ces actes, sans s’informer de l’état mental de l’homme qui les avait commis. Aujourd’hui la science ne cesse d’intercéder pour ces malheureux instrumens d’un crime involontaire et de disputer leurs têtes à la justice. Les caractères de la folie ne se prononcent pas toujours nettement ; il y a ici comme partout des demi-teintes, des nuances effacées. Un homme n’est point complètement aliéné ; mais il a déjà perdu le contrôle moral de ses actions. Ces consciences, très peu libres, assistent dans le monde au jeu des passions, se mêlent au mouvement de la société qui les entraîne, passent journellement sous mille influences diverses ; pour peu qu’une idée fixe, une erreur des sens s’empare de ces esprits douteux, elle les domine sans réserve. Ce n’est pas d’aujourd’hui que les physiologistes ont reconnu dans les organes de l’homme, dans ses membres, une autre loi que celle de la volonté. La folie développe outre mesure cette fatalité des sens qui tend sans cesse à entreprendre contre la liberté de l’homme. Ces esprits dominés ne s’appartiennent plus ; ils sont à l’hallucination qui les gouverne ; ils agissent sous la loi du délire qui pervertit tous leurs sentimens. Un homme d’une grande dévotion