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un ouvrage de médecine, tombé par hasard sous sa main, croyait sentir en elle toutes les maladies décrites, dans ce livre.

L’ame participe de la nature des objets auxquels elle s’unit, et cela si intimement qu’elle finit souvent par s’y confondre. L’habitude qu’ont tous les esprits vifs d’employer des figures dans le langage constate l’existence d’une faculté sujette chez l’homme à des écarts et à des erreurs. Peu à peu ces mouleurs d’idées sont entraînés à leur donner une forme sensible, matérielle, vivante ; leur verbe se fait chair. L’association de nos idées avec les signes sensibles étant reconnue comme une source abondante d’erreurs, on comprend que les esprits inquiets, poétiques, exaltés, soient plus enclins que d’autres à se laisser tromper par le continuel mirage de leur cerveau. L’enthousiasme, qui n’est souvent que la passion d’une idée, peut encore devenir, comme toute passion forte, une cause fréquente de désordres pour les organes de la sensibilité. L’hallucination se montre en quelque sorte, sous ce point de vue, un phénomène artiste.

Tout en croyant utile de maintenir en théorie la division des causes physiques et des causes morales, nous devons dire qu’en fait elle s’efface très souvent. Chez les malades. L’homme n’est pas séparément un corps et une ame. C’est, selon le langage de Montaigne, un être ondoyant et divers. Il s’ensuit que les causes de la folie participent en général du caractère mixte de notre nature.


III. – DES FORMES DE L'HALLUCINATION.

Quoique les hallucinés se montrent le plus souvent confondus dans les hospices et les établissemens particuliers avec les autres fous, ils présentent une physionomie singulière qui les fait aisément reconnaître. Ces altérations mystérieuses frappent volontiers un sens unique. Si c’est l’ouïe qui est affectée, les malades entendent des voix. Ce n’est pas, comme chez nous, l’agitation de l’air qui frappe leur oreille, c’est leur idée qui parle en quelque sorte à l’organe de l’ouïe et qui le trouble au point de lui faire attribuer à une cause étrangère ce qui vient de la personne même. Quelquefois les hallucinés rapportent ces voix à des êtres qu’ils connaissent, d’autres fois ils en ignorent la cause, ou bien encore ils les attribuent à des esprits. L’état de l’organe ne fait rien à ces bruits intérieurs. Il existe à la Salpétrière une femme complètement sourde qui entend ses voix et qui leur répond