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Les causes des erreurs de la sensibilité sont si nombreuses, si variées, qu’il est impossible de les prévoir toutes et de les renfermer dans un cercle. Durant les siècles où ces phénomènes se liaient au mouvement général de la société, il était plus facile de remonter à l’origine du désordre. Aujourd’hui, c’est dans les lectures et les occupations d’un individu qu’on retrouve les matériaux de ses visions. J. Brierre assigne pour cause générale aux hallucinations la chute originelle de l’homme, qui lui a fait perdre la connaissance de Dieu et de soi-même. En vérité, c’est remonter beaucoup trop loin ; laissons ces origines nuageuses, que la physiologie sérieuse repousse, et contentons-nous de regarder la folie comme inséparable de nos facultés dans l’état actuel des choses. Les facultés morales les plus élevées sont également les plus délicates, celles dont les fonctions se troublent et se dérangent le plus aisément. Il en est de même à peu près dans l’ordre physique : c’est l’organe de la vue qui se montre plus sujet que d’autres à des défaillances.

Nous croyons pouvoir diviser les causes de l’hallucination en deux ordres, les causes extérieures et les causes intérieures.

Les premières sont innombrables, elles comprennent tous les objets sensibles qui frappent l’imagination et qui, à un moment donné, deviennent, sous une forme ou sous une autre, les instrumens du délire. Les secondes, les causes intérieures ; résident dans nos sentimens, dans nos idées, dans notre caractère. L’influence du moral sur le physique, comme cause dominante des hallucinations et des illusions, quoique niée par plusieurs médecins, nous parait manifeste. N’y a-t-il pas des jours où, sous l’empire de nos dispositions morales, les objets changent, pour ainsi dire, de forme à nos yeux ? Quand nous sommes occupés d’une idée triste, nous donnons à toute la nature la figure de notre tristesse. Ce ne sont ni les arbres, ni les fleurs, ni les paysages, qui ont changé ; c’est la partie morale de notre être qui se trouve affectée, et cette partie morale affectée répand sur les sensations une sorte de voile qui obscurcit tout autour de nous. Le langage vulgaire a consacré cet état de l’ame dans une formule naïve : on dit voir tout en noir. Il existe en effet dans le cerveau, et selon nous plus haut que le cerveau, dans l’ame de l’homme, une sorte de principe colorant de ses sensations, qui modifie par elles le monde extérieur.

La mélancolie nous prédispose sans aucun doute à l’illusion, Car elle tend sans cesse à dénaturer la forme du monde réel. Quand l’ame est triste, elle donne à tous les objets extérieurs un sens tiré de ses