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la prétention de Gall à reconnaître sur le cerveau l’empreinte de nos dispositions morales ; mais il fléchit, à son insu, sous les idées dominantes de son adversaire, quand il conçut l’existence des monomanies. Une folie, circonscrite de manière à n’affecter qu’une faculté unique, suppose en effet dans le cerveau la présence de forces distinctes, solitaires, indépendantes les unes des autres. C’est cependant sur cette base, empruntée à la théorie de Gall, que M. Esquirol établit les impulsions soudaines de certains aliénés à détruire leurs semblables ou à se détruire eux-mêmes. Dans cette manière de voir, il se croyait en outre appuyé sur des faits. Tel homme a tué, sans provocation, sans cause connue, sans intérêt aucun : monomane suicide ! Tel autre a incendié sa maison ou celle de son voisin, sans motif : pyromane ! Ces autres insensés ont voulu commettre des viols, des incestes : monomanes érotiques ! C’est ainsi que M. Esquirol classait ses cas de folie sur les actes et sur les manifestations superficielles des aliénés.

Les mêmes faits, plus sévèrement analysés, ne donnèrent point à M. le docteur Foville les mêmes résultats. Il découvrit.que les actes des aliénés, rapportés par M. Esquirol à une certaine disposition du délire, reconnaissaient le plus souvent une autre cause, un autre mobile, l’hallucination. Cet homme s’est tué, d’accord ; mais était-ce pour obéir à une impulsion aveugle ou pour se soustraire au supplice de ses sensations faussées par la maladie ? M. Foville ne tarda pas à rencontrer une sensation fausse derrière la plupart de ces actes extraordinaires, que, dans l’ignorance de toute autre cause, on avait attribués à une force secrète de la nature. En voici un exemple récent : M…, d’un esprit distingué, employé dans une administration du gouvernement, se présente chez un de ses chefs, et lui tire à bout portant deux coups de pistolet ; il essaie ensuite de se détruire par le même moyen. Toutes ces balles manquent heureusement le but que la main leur marquait. Si cet homme fût tombé dans le service, de M. Esquirol, son arrêt était dicté d’avance : monomane homicide ! En remontant vers l’origine de la maladie, on arrive pourtant à un autre motif de détermination que le besoin de tuer. M… commence par sentir ses alimens empoisonnés. L’esprit travaille sur cette sensation, et les actes de la vie s’y conforme cet homme évite les tables d’hôte, se nourrit à l’écart d’alimens préparés par ses mains. Bientôt, comme la fausse sensation continue, il porte plus loin ses précautions ; il fait traire devant ses yeux le lait qu’il doit boire, ne mange presque plus que des fruits, et encore rejette ceux dont la peau est entamée. Voilà un homme particulier, bizarre ; nul n’ose encore dire :