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fort bien décrits : on n’errait alors que sur l’interprétation des causes. En vain la médecine essayait-elle quelquefois de réclamer au nom des lumières. Comme les faits n’avaient pas encore été transportés sur leur véritable terrain ; le sol de la discussion tremblait à chaque pas. La théologie avait d’ailleurs entre les mains un dernier argument devant lequel la raison humaine se taisait : ce dernier argument était le bûcher. Tous les faits existaient, mais le lien qui devait les réunir à la science n’était pas encore trouvé. Il fallait, pour amener ce résultat, une révolution dans les idées. Le mouvement philosophique du dernier siècle, en renversant les barrières d’un monde surnaturel, remit la médecine en possession de son domaine. Disciple et continuateur du fameux Pinel, qui avait si largement ouvert la route, M. Esquirol est le premier qui ait nommé, décrit et analysé l’hallucination comme un des élémens de la folie[1].

Ce médecin célèbre s’avança timidement sur le nouveau théâtre de ses propres observations. Sans méconnaître la présence des hallucinations dans un grand nombre de maladies mentales, il ne sépara pas toujours assez nettement ce phénomène des autres élémens du délire, et ne lui attribua qu’une part trop faible dans les actes des aliénés. En veut-on un exemple ? Lorsque M. Foville succéda dernièrement à M. Esquirol dans le service de la maison royale de Charenton, il trouva chez les malades classés par son illustre devancier un nombre prodigieux de monomanes et très peu d’hallucinés. Or, à peine M. Foville eut-il appliqué dans cet établissement son contrôle aux différens cas de folie, que le nombre des monomanes diminua sensiblement ; ils ont aujourd’hui presque entièrement disparu, et le nombre des hallucinés a augmenté dans la proportion inverse. Ce désaccord entre deux hommes si considérables dans la science mérite une explication. M. Esquirol, quoique adversaire constant et amer de la doctrine de Gall, se laissa entraîner comme malgré lui aux idées du physiologiste allemand quand il admit toute une classe de délires agissant sur une seule faculté. On connaît la doctrine de l’homme que nous venons de citer. Le docteur Gall posa son doigt sur le cerveau et osa dire, après d’autres il est vrai, mais avec une force de conviction nouvelle : Ici l’on pense ! S’il se fût arrêté à cette proposition générale ; il eût rencontré peu de contradicteurs, mais il eût aussi peu remué la science. Gall s’avança plus loin : il traça sur le cerveau vingt-sept départemens dans lesquels il localisa les principales facultés de l’homme. M. Esquirol combattit

  1. Mémoires publiés en 1817 et en 1832.