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existent, et ils ne vivent déjà plus. Le médecin passe, il parle d’eux devant eux, et ces malades l’écoutent sans le comprendre. Quelquefois la vanité accourt à sa rencontre et se drape coquettement dans quelques haillons pour attirer des regards qui se détournent tristement. Souvent encore ce sont chez les femmes, les plus chastes vertus de leur sexe qui succombent dans une lutte douloureuse avec le délire. On les voit affecter des poses et des gestes cyniques. Ces actes, dont la volonté est absente, sont parfois accompagnés des rougeurs pénibles de la honte. Que faire à de semblables maux ? Le médecin assiste dans le plus grand nombre des cas, témoin triste et impuissant, à un désordre qu’il n’est point au pouvoir de l’homme de réparer. Le penseur trouve un attrait mêlé d’amertume dans la contemplation de ces infirmités morales que la main de Dieu semble couvrir à dessein d’un voile impénétrable. Une curiosité inquiète et grave, unie à une compassion immense, nous entraîne comme malgré nous sur le bord de cet abîme où s’agitent toutes les calamités de l’esprit, et d’où sortent des accens de colère, des plaintes et des gémissemens.

De tous les phénomènes de la folie, si sombre et si impénétrable elle-même, le plus mystérieux est encore l’ha1lucinaton. Un homme voit tout à-coup ce que les autres hommes ne voient pas, il entend ce qu’ils n’entendent pas, il touche ce que leur main ne saurait toucher. Dans cet état de choses, le monde réel est renversé. Jouet de ses sensations maladives, l’halluciné assiste à une existence qui n’est plus qu’une fable. Séquestré le plus souvent dans un établissement d’aliénés, il peuple cette solitude des fantômes de son délire. Autour de lui, les idées s’animent, prennent une forme ; des images dont l’existence est si vivement accusée à ses yeux, qu’elles masquent la présence de tous les objets réels, se montrent à son cerveau ébloui. Certes, une telle calamité mérite qu’on s’y arrête et qu’on l’envisage sérieusement. Ce n’est pas seulement la médecine, c’est la psychologie qui est intéressée à bien connaître ce phénomène, et les deux points de vue se touchent ici de trop près pour qu’il soit possible de les séparer. L’halluciné se montre aux yeux du moraliste ce qu’il est aux yeux du médecin, un malade sans doute, mais un malade d’un ordre supérieur, chez lequel le trouble des fonctions vitales s’élève directement jusqu’à l’ame. Le jour où la philosophie descendra avec son flambeau dans l’étude des affections mentales, elle rencontrera une ample matière à observations nouvelles. Comme dans une ville détruite on découvre çà et là des monuments qui portent l’empreinte du génie de la nation éteinte, ainsi dans ces grands ravages de la folie on retrouve partout