Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 12.djvu/244

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fonctionnaires. Les mesures destinées à les garantir contre des poursuites téméraires sont autres ; elles consistent, pour les magistrats de l’ordre judiciaire, dans une procédure et des formes plus solennelles ; pour les officiers, dans une juridiction exceptionnelle, celle des conseils de guerre, et pour les fonctionnaires administratifs, compris sous la désignation collective d’agens du gouvernement, dans la nécessité d’obtenir préalablement l’autorisation de les mettre en jugement. Quelques explications sont nécessaires sur ce dernier point qui a soulevé les plus vives discussions.

La responsabilité des agens du pouvoir forme une des conditions essentielles de la liberté publique. Tout citoyen lésé dans sa personne ou dans ses biens par un acte de l’autorité a donc droit à une réparation, si l’agent qui a commis le dommage n’agissait pas en vertu de la loi et pour en assurer l’exécution. Ce principe, que la charte de 1830 a consacré, est soumis, dans l’application, à des restrictions nécessaires. Si l’agent inférieur a obéi à un ordre, la responsabilité doit remonter à l’auteur de l’ordre, et ne saurait peser sur qui n’en a été que l’exécuteur passif. Il faut d’ailleurs apprécier, en même temps que le dommage matériel, les circonstances qui l’ont accompagné, la conduite de l’agent, les nécessités publiques auxquelles il a voulu pourvoir. A qui appartient-il de résoudre ces questions préjudicielles ? Est-ce à l’autorité judiciaire ou à l’administration ? Des considérations empruntées à la forme même de nos institutions ont, depuis 1789, fait proclamer la compétence exclusive de l’autorité administrative : elle seule peut vérifier si l’agent obéissait à un ordre ou suivait sa propre impulsion ; elle seule connaît les devoirs de chaque service, ses besoins, ses règles. Que l’autorité judiciaire soit appelée à se prononcer sur des questions de cette nature, l’administration tout entière passera entre ses mains ; elle en pourra citer les agens à sa barre, et les frapper d’interdit. Le principe de la séparation des pouvoirs disparaîtrait dans cette confusion. À ces raisons, prises dans l’essence même des théories constitutionnelles, s’en joignent qui touchent plus directement à notre sujet. Les agens, sous la menace perpétuelle de poursuites judiciaires, tomberaient dans le découragement, et pourraient à toute heure être arrachés à leurs fonctions : double danger pour le service public. La sagesse des magistrats ne suffirait point à le conjurer. Créées pour un autre but, les formes judiciaires ne se prêtent point aux exigences des affaires publiques. Louables dans leur rigorisme, quand elles s’appliquent aux questions privées, les habitudes d’esprit des magistrats ne se prêtent point