Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 12.djvu/214

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

grands actes politiques, mais ce sont des marques de bon vouloir, et c’est déjà quelque chose qu’il reste une ombre de volonté et une seule idée à un prince qui, à l’âge de dix ans, recevait de sa mère, en manière d’étrennes, deux superbes Circassiennes.

Il est d’usage à Constantinople que chaque semaine, le vendredi (qui est le dimanche turc), le sultan aille faire la prière dans une des mosquées. Il la désigne le matin et s’y rend, selon le quartier, à cheval ou en caïque. Cette cérémonie hebdomadaire est la seule occasion dont les étrangers puissent profiter pour voir le sultan. Je n’eus garde de l’oublier, et je me plaçai un jour sur son passage, dans une petite rue dont une haie de soldats interceptait la circulation. Les fantassins turcs, qu’on a essayé de déguiser en Européens, sont de véritables caricatures. Coiffés d’un énorme bonnet rouge, ils sont vêtus d’une veste ronde de drap bleu, mal coupée, mal portée, d’un pantalon de toile grossière, étroit par devant, faisant des plis par derrière, et qui laisse à moitié nu le bas de leurs jambes et leurs longs pieds chaussés de savates éculées. Les instructeurs français et prussiens n’ont pas encore réussi a bien apprendre à ces conscrits ridicules l’exercice à l’européenne, et ces soldats transformés, qui manient maladroitement notre mousquet, ne savent plus brandir comme leurs pères le cimeterre si long-temps redouté, des Osmanlis. Derrière la haie de soldats, une foule assez nombreuse attendait, dans un profond silence, l’arrivée, de sa hautesse. Bientôt retentirent bruyamment les accords d’une musique guerrière, dirigée par le frère du maestro Donizetti. Au bruit éclatant des instrumens de cuivre, nous vîmes défiler devant nous le cortége du grand-seigneur. En tête marchaient quelques officiers à cheval. Derrière eux paradaient, conduits en main, quatre étalons magnifiques, couverts d’un riche harnais de velours brodé d’or et étincelant de pierreries. Quelques hauts personnages de l’état, hommes pour la plupart d’un embonpoint excessif, et qui paraissaient étouffer dans leurs redingotes taillées à l’européenne, suivaient d’un pas plus paisible. Enfin, à quelque distance en arrière, un jeune homme svelte, à la physionomie grave, à l’air éminemment distingué, caracolait avec grace sur un superbe