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de Naples : c’est une dérision. Chacun peut se figurer la capitale italienne, tandis que la ville des sultans dépasse en merveilles tous les rêves de l’imagination. On a eu raison de le dire, si l’on n’avait qu’un coup d’œil à donner à la terre, c’est de là qu’il faudrait la contempler. J’avais entendu raconter qu’un voyageur, en doublant la pointe du sérail, avait éprouvé un saisissement tel qu’il avait déterminé chez lui un violent accès de fièvre ; cette histoire, dont j’avais ri plus d’une fois, me parut vraisemblable quand j’arrivai devant, le château des Sept-Tours. Notre enchantement, du reste, fut de courte durée ; les vapeurs se condensaient de nouveau ; le tableau se couvrit d’une gaze rose, puis il pâlit encore, et Constantinople s’effaça devant nous comme un songe. Les roues du Rhamsès battirent de nouveau la mer, et mes regards, ramenés autour de moi, tombèrent sur les visages de nos jeunes voyageuses, qu’avait pâlis l’émotion ou un réveil trop matinal. Tout à coup j’entendis prononcer à haute voix mon nom à l’arrière du navire. C’était le commandant qui m’appelait ; je courus vers lui. Penché en dehors du bastingage, il regardait fixement dans l’eau et me montra avec une sorte d’horreur quelque chose de long et de noir que venait de soulever la roue du steamer. — Laissons passer la justice du sultan, — me dit l’officier de marine. Mes yeux se portèrent de nouveau sur cette espèce d’outre qui surnageait et flottait le long du bord. Alors il me sembla voir une forme humaine se dessiner sous la peau souple et mouillée. — C’est une femme, ajouta le commandant. Ne m’attendant pas à cette révélation, je frissonnai malgré moi des pieds à la tête ; puis une idée me frappa : peut-être cette femme n’était-elle pas morte encore ! peut-être pouvait-on la rappeler à la vie ! Un roman naquit dans mon esprit. Je regardai de nouveau le sac de cuir ; il était loin déjà ; un instant ballotté par le remous du navire, il dérivait au courant et continuait lentement sa route vers l’éternité.

Quand je revins à mon poste d’observation sur l’avant du navire, la disposition de mon esprit n’était plus la même. C’était en vain que je cherchais à fixer mon attention sur le spectacle si long-temps attendu, si souvent rêvé, auquel il m’était enfin donné d’assister ; malgré moi l’image du sac de cuir à forme humaine passait sans cesse devant mes yeux et glaçait toute admiration dans mon cœur. Le panorama qui m’entourait ne me semblait plus que la vaine décoration du drame réel qui venait de s’accomplir, pour ainsi dire, sous mes yeux. En passant devant le vieux sérail, j’aperçus à ma gauche une sorte de pont, attenant à la terre d’un côté seulement, coupé au-dessus de la mer à l’autre extrémité et présentant à peu près la forme