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d’années, M Alexandre Dumas a traduit, lui aussi, cette histoire en drame, et probablement ce n’était pas sans avoir connu l’ouvrage de M. Revere. Bien que M. Dumas ait confondu des évènemens divers et ait introduit dans son œuvre Luisa Strozzi, dont l’auteur milanais ne fait pas mention, cependant la ressemblance entre certaines scènes est trop frappante pour qu’elle puisse être l’effet d’une coïncidence fortuite. La prison où Luisa vient trouver son père, avec la permission du duc, et celle où M. Revere place Bernardo Corsini avec sa fiancée Nella, est la même ; la situation est semblable, le langage pareil. Fra Lionardo est un personnage simplement transporté de l’ouvrage italien dans l’ouvrage français. Ni l’un ni l’autre de ces drames, cependant, ne se pourraient comparer à celui qui les a précédés tous les deux et nous a fait connaître cette singulière figure du XVIe siècle italien, nous voulons parler du Lorenzaccio de M. Alfred de Musset. C’est le plus poétique et le plus vigoureux tableau de cette Florence noyée dans le vin et le sang, et en même temps un des drames les plus riches de cette époque. Comment se fait-il donc que ce poète, qui, si jeune d’années encore, a fait irruption et s’est signalé sur tant de points, dans le poème, dans le roman, dans le drame, semble se dérober volontairement après chaque succès, et faire attendre les fruits de sa virilité ? Certes on ne peut douter qu’à côté de ces proverbes charmans, de ces comédies pleines de grace : On ne badine pas avec l’Amour, les Caprices de Marianne, la Quenouille de Barberine, M. de Musset n’eût pu ajouter à Lorenzaccio d’autres œuvres pareilles, et le théâtre moderne est-il donc si riche qu’il n’y eût profit à l’y convier ?

Les Essais Dramatiques de M Revere, sans avoir cette haute valeur poétique de Lorenzaccio, sont encore dignes d’intérêt. Cependant on voudrait y rencontrer plus souvent quelques-uns de ces reflets soudains et magiques qui signalent la jeunesse et mettent l’originalité de l’écrivain en saillie. L’auteur est jeune en effet, et dès-lors pourquoi n’y aurait-il pas lieu d’espérer que son inspiration se fortifiera en se concentrant, que la méditation fera disparaître ce qu’il peut y avoir d’un peu incertain dans son talent ? M. Revere, on le voit, revient avec soin vers le passé. « Si vous nous enlevez nos souvenirs, dit-il en un passage, que pourrons-nous montrer aux étrangers ? » Il y a dans ces paroles une amertume secrète et un triste regret. Ailleurs, à la première page d’un de ses drames, il a écrit : Non est mortua puella, sed dormit ! Là le regret, ici l’espoir. En traduisant ces sentimens divers au point de vue littéraire, ne pourrait-on dire aux écrivains italiens : « Ayez donc courage et persévérez malgré tout ; travaillez tous les jours, s’il se peut, à des œuvres dignes de la patrie qui n’est plus, de la patrie de Dante, de Pétrarque, de Boccace, de Machiavel, de Tasse, dignes aussi de la patrie qui sera ! »


CH. DE M.