Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 12.djvu/181

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

filles flétries, les jeunes époux qui redemandent leurs fiancées. En face de ce triste spectacle, il y a quelque chose d’émouvant dans cette double vie, de Lorenzino, qui, d’un côté, apparaît comme le complice d’Alexandre, et de l’autre écoute patiemment toutes les plaintes pour s’en faire le vengeur. M Revere l’a peint avec vérité ; il a de nobles momens lorsque, près de Catherine Ginori, sa maîtresse, il éprouve le besoin de se débarrasser de ce masque qui lui dévore la face, et montre son ame à nu, développant son dessein qui le purifie aux yeux de la femme qu’il aime. « Ah ! si Florence pouvait le juger en ce moment ! » dit Catherine. Parfois aussi, remettant son masque, il va se mêler au peuple ; c’est dans une de ces scènes qu’il prend la guitare de l’improvisateur et chante :

« Ah ! mon deuil est devenu cruel, Lena était belle comme une fleur de mai ! Le monde entier lui rendait hommage ! Qui me rendra ma Lena que j’ai perdue ?…

« Elle est devenue muette comme une pierre… Son beau visage est bien pâle ; sa chevelure a été coupée ! Ah ! qui me rendra ma Lena que j’ai perdue ?…

« Je n’ai guère d’espoir ; voyez, cependant, je ne porte pas l’habit du veuvage ; peut-être ma Lena n’est pas perdue ?…

« Le temps ne change pas mon amour ; ma pensée va toujours vers elle, dans la veille ou dans le sommeil ; je vais la chercher encore un peu mieux. Peut-être ma Lena n’est pas perdue ?…

« As-tu entendu l’histoire de Lena ? dit un homme du peuple, elle ressemble à celle de Florence. »

Cependant c’est vainement que Lorenzino délivre sa patrie d’Alexandre de Médicis. Son action romaine ne peut rien, et lui-même est forcé de fuir, de s’en aller de ville en ville comme un criminel. Puisque M. Revere n’était point gêné par les exigences de la scène, pourquoi à ce tableau de la vie de Lorenzino n’a-t-il pas ajouté un autre tableau, celui de sa mort ? Florence reste assoupie, et celui qui avait rêvé dans son sein la gloire de Brutus va mourir misérablement assassiné à Venise, comme pour prouver que le meurtre est toujours le meurtre, et que ce n’est pas par lui qu’on sauve une nation. Et puis, ne verrait-on pas en cela la fin logique d’un homme qui, n’ayant pas assez redouté les atteintes d’une vie d’opprobre et de débauches, avait laissé lentement les vertus s’échapper de son ame, et en qui il n’était plus resté de force que pour donner un coup de poignard ? Il y a, ce nous semble, plus de grandeur dans la fin d’un autre de ces conspirateurs florentins de la même époque, Filippo Strozzi. Strozzi, enfermé dans une prison, se tua de sa propre main, et, avant de mourir, dans son testament qui est resté, il recommandait avec simplicité son ame à Dieu, bien qu’il commît un acte coupable en se frappant lui-même ; et il le priait, s’il ne pouvait faire mieux, de l’admettre dans le séjour où vit Caton d’Utique, au milieu des autres mortels vertueux qui l’ont imité.

Le nom de Lorenzino a attiré plus d’un écrivain de nos jours. Il y a peu