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de la scène, et qu’il a écrit ses poèmes en prose. Les Essais de M. Revere se pourraient comparer, dans leur contexture, aux États de Blois ou à la Mort de Henri III, de M. Vitet ; c’est le même système dramatique, système merveilleusement propre à favoriser l’audace, et qui, par cela même, devait plaire à un vif esprit. Mais ce temps où en Italie comme en France on s’essayait à une large réforme dramatique est loin de nous déjà ; entre les drames historiques de M. Vitet et les Essais de M. Revere, il y a vingt années ; ces libertés, enviées alors, pour lesquelles tant d’ardeur était dépensée, qui les conteste aujourd’hui ? et dès-lors ce qu’il pourrait y avoir d’heureusement agressif dans une œuvre hardie et en dehors de toute règle risque de rester sans effet. Peut-être y aurait-il eu plus d’avantage pour le jeune auteur milanais à resserrer son action, à conduire d’une manière plus visible pour le lecteur les personnages au sanglant dénouement, à donner du relief à certains caractères qui, malgré leur grandeur, disparaissent presque au milieu du tumulte de la mêlée. Peut-être ainsi serait-il parvenu plus aisément à combiner une certaine unité d’action qui doit exister dans toute œuvre tragique avec la variété, le mouvement, l’animation, qui en font l’intérêt.

Certes, même en acceptant quelques-unes de ces légères restrictions qui laissent encore à l’inspiration toute sa liberté et, bien, loin de l’étouffer, la vivifient au contraire, il n’est pas de plus admirable source où l’on soit tenté d’aller puiser que les annales italiennes. Guerres de l’empire et de la papauté, bouleversemens des royaumes, luttes formidables des cités entre elles, puissantes haines de familles, et à côté les plus douces, les plus pures amours, insatiables ambitions, dévouemens héroïques, oppression des peuples, généreux efforts pour la liberté, — gloires ineffaçables et revers éclatans, — tout ce qui attache l’esprit, tout ce qui prête au drame abonde dans l’histoire de ce peuple qui, par un destin singulier, a donné deux fois la lumière au monde, et a laissé s’échapper le flambeau de ses mains. C’est un sérieux hommage que bien des écrivains d’un génie éminent ont rendu à l’Italie que d’aller, pour ainsi dire, s’échauffer à son foyer, scruter son passé pour le reproduire et lui donner une nouvelle vie par la vertu de leur art. Shakspeare a demandé à l’Italie Othello et Desdemona, Juliette et Romeo ; Goethe lui a pris Torquato Tasso ; Schiller en a tiré Fiesque ; Byron dans ses courses aventureuses y a trouvé Marino Faliero et les Foscari. Terre inspiratrice où les poètes ne peuvent aborder sans en rapporter quelque puissant et vert rameau !

M. Revere a choisi deux faits mémorables dans l’histoire de Florence : — la révolution passagère et violente conduite par Savonarola, et la tentative impuissante et désespérée de Lorenzino. Nous intervertissons les dates de ces compositions : Lorenzino de Médicis a été fait avant les Piagnoni. Il n’importe. Dans l’histoire, Fra Girolamo est venu avant le meurtrier du duc Alexandre ; dans le grand drame des destinées florentines, le fougueux moine précède le nouveau Brutus. Le premier conduit au second à travers les plus sanglantes péripéties qui aient pu désoler une ville.