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REVUE LITTERAIRE.




ESSAIS DRAMATIQUES, de M. G. Revere[1]. — Les théories modernes sur l’art dramatique ont été très vivement agitées au-delà des Alpes, il y a déjà plus de vingt ans ; elles ont été débattues tour à tour avec éloquence et avec esprit dans les livres, dans les brochures, dans les journaux, dans ces écrits multipliés qui étaient alors le signe d’une renaissance intellectuelle. A l’exemple de l’Angleterre, qui avait eu Shakspeare, à côté de l’Allemagne illustrée par Schiller et par Goethe, de la France, où la critique proclamait les doctrines nouvelles, en attendant que de hardis écrivains les missent en œuvre, l’Italie, se dégageant des entraves, voulait aussi arriver à une façon plus large, plus libre, plus vraie de représenter la vie humaine au théâtre, soit que le poète ne demandât ses héros qu’à sa propre pensée, à sa fantaisie, à son invention, soit que, s’instruisant par l’histoire, il voulût ranimer les personnages du passé, peindre leur physionomie, leurs passions, leurs coutumes et les faire revivre dans leur antique attitude. La variété même de la vie devait succéder à la languissante unité d’une action étroite et méthodique ; les pompeuses fictions allaient faire place aux sévères et exactes peintures historiques. Telle était la pensée des brillans esprits qui ne voulaient pas que l’art pérît dans la patrie de Dante. Ainsi, la poésie dramatique, en Italie, pouvait avoir un glorieux avenir ; mais là comme ailleurs, ce n’était pas sans résistance que la Muse moderne gagnait ses batailles. Manzoni, qu’on rencontre toujours sur le chemin des généreuses tentatives, fut un des premiers à lever ce drapeau de légitime révolte ; non-seulement il défendait la valeur critique de ses idées avec une chaleur convaincue et un ingénieux talent, mais il fit mieux encore : il prouva leur puissance en faisant le Comte de Carmaquola et Adelghis, en qui M. Sainte-Beuve voyait récemment comme un portique sacré de la nouvelle voie dramatique en Italie. Belles œuvres, en effet, et qui parurent bien avant que de pareilles tentatives fussent faites en France ! Carmagnola et Adelghis pourraient, en quelques points, être comparés à certains ouvrages de Schiller. Comme dans les drames de l’auteur de Guilliiume Tell, il y a toujours dans ce libres et vigoureux tableaux historiques une beauté idéale qui charme l’esprit et l’élève : c’est la beauté la plus parfaite et la plus pure, celle que l’ame seule comprend et qu’elle se plaît à aller rechercher sous ses triples voiles. Il se peut bien que, trop vivement exalté par cet attachement aux choses idéales, le poète parfois oublie les conditions de temps et de lieux, et jette dans une action dont la date devrait fixer le caractère quelque étrange héros, comme Adelghis, ce Posa de l’invasion lombarde ! Mais qu’importe : la poésie qui aboutit à de telles créations ne vaut-elle pas mieux que cet art frivole qui a besoin, pour se compléter,

  1. Gli Piagnoni e gli Arrabiati, al tempo di fra Girolamo Savonarola 2 vol, Milano. — Lorenzino de Medici, drama storico ; 1 vol.