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REVUE. — CHRONIQUE.

qui se sont formées dans des régions inhabitées, entre la Saline et la rivière Rouge, et dont les exploits rappellent ceux des plus fameux out-laws ; enfin, il faut qu’ils le peuplent, car il est encore bien désert, et les flots d’émigrans qui s’y porteront sans doute appauvriront d’autant la population déjà si clairsemée de la Louisiane et de la Georgie.

Quoi qu’il en soit, ce sont là des difficultés attachées en général à la conquête, et les États-Unis ont déjà montré sur d’autres points qu’ils étaient capables d’en triompher. Quant au Mexique, ce ne sera pas son opposition qui ajoutera beaucoup à ces difficultés. Le Mexique n’est ni une nation ni un gouvernement c’est un nom sur la carte, voilà tout. Il paraîtrait cependant que les autorités de Mexico, poussées sans doute par un mouvement populaire, se seraient enfin résolues à déclarer la guerre aux États-Unis ; mais ce n’est pas le tout de déclarer la guerre, il faut la faire. Or, pour faire la guerre, le Mexique n’a ni armée, ni marine, ni finances, ni esprit public ; il n’a rien enfin de ce qui fait livrer et gagner les batailles. Le Mexique n’a qu’un moyen de faire la guerre aux États-Unis, c’est de délivrer des lettres de marque à tous ceux qui en voudront, et de lancer sur le commerce américain des corsaires de toutes les nations. Les États-Unis se vengeront, il est vrai, en brûlant les ports du Mexique ; mais cette vengeance sera peu de chose en comparaison du dommage que ce genre de guerre peut leur causer.

Suivant toute apparence, que la guerre ait lieu ou non, nous ne tarderons pas à voir une dissolution de la république mexicaine et sa séparation en plusieurs états. Voici le Texas qui s’est détaché ; le Yucatan a fait à peu près de même bientôt ce sera le tour de la Californie, et de toutes les fractions du territoire dont la réunion nominale donne au Mexique cette étendue qui le rend si fier. Peut-être la crise actuelle viendra-t-elle précipiter le dénouement. Sera-ce un bien ? Sera-ce un mal ? Nul ne peut le dire. Ce qu’il y a de sûr, c’est que le choc de la race anglo-américaine avec la race espagnole dans ces régions amènera une nouvelle période, dans l’histoire de l’Amérique. Jusqu’à ce jour, les deux races conquérantes se sont développées chacune de son côté, sans autre point de contact que des rapports maritimes toujours peu étroits. Aujourd’hui, dans son mouvement d’expansion, la race anglaise est venue au-devant de la race espagnole, elle la rencontre dans le Texas, dans la Californie, elle lui dispute la terre conquise par Cortez. Pour qui se rappelle la supériorité morale et physique de l’une des deux populations sur l’autre, l’issue générale de la lutte ne saurait être un moment douteuse ; mais quels seront sur les Anglo-Américains les effets mêmes de leur victoire ? Quels seront sur les Espagnols les effets de leurs défaites ? Dans quelle proportion l’une des deux races sera-t-elle absorbée par l’autre ? Voilà des problèmes que le temps seul peut résoudre.