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pris en 1840, l’Angleterre l’avait expérimenté auparavant par une tentative de débarquement qui a complètement échoué. Il est donc à croire que l’escadre anglo-française se bornera à mettre le blocus devant les parages argentins, et à interrompre autant que possible les communications entre le territoire de Buenos-Ayres et celui de Montévidéo. C’est là évidemment ce qu’il y a de plus sage, de plus praticable. Eh bien ! dans ce cas encore on risque de retomber dans une de ces situations interminables où se complaît l’apathique persévérance de la race espagnole. Qu’est-ce qu’un blocus dans la Plata ? Un immense encouragement donné à la contrebande, voilà tout. Pendant que les barques des contrebandiers, sorties du port même de Montévidéo, se glisseront sans bruit entre les bâtimens aux aguets, et rendront ce blocus inefficace, que se passera-t-il sur terre ? Cette fois, ce ne sera pas Rosas qui occupera la campagne en partisan, ce sera Oribe qui restera, quoi qu’on fasse, autour de Montévidéo, s’éloignant de cent lieues quand il le faudra pour reparaître au moment où on l’attendra le moins.

On sait comment se fait, dans ce pays-là, ce qu’on appelle la guerre. Quelques centaine de pâtres errans se rassemblent sous un chef ; on arrête au hasard dans la plaine des chevaux sauvages, la troupe improvisée monte dessus, et quand ces chevaux sont fatigués, on les lâche pour en arrêter d’autres. Voilà, comme on voit, un peuple encore mieux organisé que les Arabes pour la guerre à la numide, car chaque Arabe n’a qu’un cheval, et chacun de ces soldats du désert en a cent. Pour se nourrir, l’armée emploie les mêmes moyens que pour se monter. Quand la place d’un camp a été choisie, les plus habiles joueurs de lasso se répandent à droite et à gauche, fondent sur les bœufs qui paissent çà et là, leur lancent avec adresse le nœud coulant, les assomment sur place, les dépècent, et en tuent souvent quatre fois plus qu’il n’en faut pour nourrir tout le camp ; le reste est abandonné aux tigres et aux oiseaux de proie. Comment combattre des troupes pareilles et les forcer à quitter le pays ? Si Oribe ne veut pas repasser le Parana, rien ne sera plus difficile que de l’y contraindre, et, s’il ne repasse pas le Parana, il continuera à tenir Montévidéo bloqué, c’est-à-dire affamé. Ce sera le prolongement de l’état actuel, c’est-à-dire d’un état en définitive peu désavantageux aux habitans du pays, philosophes pratiques s’il en fut, qui n’ont pas de besoins, et auxquels par conséquent on ne peut imposer de privations, mais funeste et mortel aux étrangers qui vont dans ces pays pour y travailler et gagner leur vie.

Voilà pourquoi nous désirons que les moyens de conciliation ne soient pas encore tout-à-fait abandonnés. Ce sont précisément ces difficultés qui ont fait long-temps douter beaucoup de bons esprits de l’opportunité d’une intervention armée de la part des deux grandes puissances. Si la menace de cette intervention peut avoir pour résultat de presser une conclusion à l’amiable, rien de mieux, mais une rupture définitive serait fort à regretter. Tout emporte de la force ; quel qu’il soit, peut amener de fâcheuses conséquences pour le présent, et pour l’avenir.