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piqué au jeu par ces objections railleuses, et il répond gaiement : « Oui, en vérité ! lorsque tous ces petits enfans, tous ces petits vermisseaux, seront revêtus de la tunique du Christ, lorsqu’ils porteront de leur main, gauche des branches de lis, de leur main droite, en guise de bouclier, une autre tunique de Trêves en pain d’épice, et lorsque, guidés par les bacheliers, les licenciés et les docteurs de l’université napoléonienne, sous le commandement en chef de Villemain, ils s’avanceront en chantant, alors, sans doute, Sion sera ébranlée jusqu’en ses fondemens, et la ville sainte sera perdue. » Comprenne qui pourra le sens de cette bouffonnerie ; nos pamphlétaires catholiques, on le sait de reste, ne brillent guère par l’élégance de l’esprit et la délicatesse du goût, mais vraiment ils valent mieux que cela. Un peu plus loin, M. Goerres emprunte ses facéties à quelque vaudeville de la foire : « Le mensonge, dit-il, est devenu, comme le tabac, une chose dont on ne peut se passer. » Il faut se souvenir que celui qui plaisante sur ce ton était, il y a trente ans, l’un des plus grands écrivains de son pays. Lui-même, de temps en temps, il voudrait se rappeler il se cherche péniblement, il s’efforce de retrouver cette verve puissante qui était son génie. Pauvre vieux lutteur épuisé aujourd’hui par l’âge, épuisé surtout par les mesquines passions qu’il s’est données ! il ne lui reste plus que la déclamation sonore. Qu’est devenu le sentiment vivace qui frémissait jadis sous ce langage diffus et retentissant ? où est le nerf et l’aiguillon ? Je rencontre, vers la fin de son livre, au milieu d’un flot de paroles, quelques pages sur la révolution française, sur Napoléon, sur la société actuelle ; on voit qu’il a ramassé ici toutes ses forces pour frapper un grand coup : eh bien ! c’est encore un plagiat, un mauvais pastiche de la Bible et de l’Apocalypse. Voici d’abord une peinture du déluge, puis paraît le roi des eaux, Napoléon ; il conduit son armée de vagues monstrueuses depuis les pyramides jusqu’au Kremlin enfin les eaux s’abaissent, et les peuples se rassemblent sur le sommet des montagnes pour maudire 89. Cette malédiction jetée sur le monde moderne est plus bizarre que vigoureuse ; elle attriste plutôt qu’elle n’irrite ; on oublie volontiers l’injure, et on se surprend à écouter avec douleur ce pauvre vieillard qui déraisonne. D’ailleurs, ce grand appareil de déclamation ne dure pas ; l’auteur retombe bien vite dans ses tristes facéties, et termine son livre par une scène de carnaval dont le sujet est le mariage de M. Ronge. Folies, charivari, détails scabreux, le sel et le poivre, rien n’y manque ; qu’on me dispense de raconter ces burlesques récits : c’est déjà trop de les avoir lus. Je remarque seulement que M. Goerres