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plus le grand publiciste, celui, qui rédigeait le Mercure du Rhin ; ce n’est plus même le révolutionnaire converti qui porta dans son catholicisme une fougue si sincère et souvent si féconde. L’esprit étroit du sectaire ultramontain a étouffé les vigoureux élans de cette riche nature. Au lieu de cet enthousiasme spontané qui illuminait sa plume, nous ne trouvons qu’une déclamation froide, une raillerie gauche et pesante. L’auteur commence par une dissertation fort alambiquée sur les reliques ; il y est dit très gravement que le corps est le revers de l’esprit (die Kehrseite des Geistes), et le vêtement le revers du corps ; voilà pourquoi la robe de Trêves est sainte et adorable. Le mysticisme de Goerres, avouons-le, était plus élevé autrefois et ne se serait pas contenté de ces explications douteuses ; c’étaient des théories bizarres, mais jamais grossières, et l’on n’y aurait découvert aucune trace de matérialisme. Après ce préambule, le pèlerinage de Trèves est tout aussitôt comparé aux croisades. Le XIXe siècle est décidément purifié ; qu’on ne nous reproche plus l’impiété moderne et le scepticisme et le panthéisme Cette croisade a dû nous gagner bien des indulgences, et nous voilà aussi saints que le moyen-âge ! Cependant, par une inadvertance bien singulière, M. Goerres se met à charbonner une noire peinture de l’iniquité présente, et nous raconte fort longuement une vaste conspiration de démons qui se liguent pour empêcher la croisade. Certes, personne ne l’ignore, M. Goerres a toujours été possédé par une imagination fougueuse, il a toujours eu une manière hardie de considérer les choses et de grossir outre mesure ce qu’il voulait peindre ; mais ici on ne peut signaler vraiment que sa bonne volonté ; sa riche fantaisie l’abandonne ; il copie pauvrement le Paradis perdu et les Martyrs. Vous ne devineriez jamais le stratagème employé par les conseillers de Satan ; ils répandent le bruit que le choléra est aux portes de Trêves ! Vains efforts ! les croisés bravent le choléra, ils courent au-devant du martyre, et arrivent sains et saufs dans la Jérusalem allemande. Cette invention est d’un goût excellent et tout-à-fait épique. Puis tout à coup voici venir, dans une parenthèse, l’université de France, que M. Goerres connaît si bien, et dont il parle avec une finesse très ingénieuse. Qu’on me permette de traduire exactement cette phrase ; elle donnera une idée de cette gracieuse plaisanterie. L’auteur vient de citer un article de journal où l’on dénonce la propagande des jésuites, les enfantillages d’une dévotion niaise et dangereuse souvent, celle-ci, par exemple, qui croit les enfans préservés du vice et devenus impeccables s’ils portent une tunique pareille à la tunique de Trêves. M. Goerres est