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fondre ensemble et de réaliser l’unité du protestantisme ; ce projet date de plus loin. Parmi ceux qui s’en préoccupèrent activement, on rencontre un grand esprit, un génie conciliateur, Leibnitz. Celui qui avait espéré rendre au monde chrétien tout entier le précieux trésor de l’unité devait concevoir aussi cette pensée. Quand il dut renoncer à ses négociations avec Bossuet, il voulut au moins accomplir au sein de l’église protestante la tache trop difficile qu’il avait entreprise dans l’intérêt de toute la famille chrétienne, et ce n’est pas la faute de cette noble intelligence si le succès n’a pas répondu à ses efforts. On peut remonter encore plus haut : avant Leibnitz, les princes souverains de la Prusse, électeurs et rois, avaient eu confusément cette espérance. Lorsque Jean Sigismond renonça au luthéranisme pour suivre le culte des réformés, c’était un motif politique qui le déterminait, et la nation était restée luthérienne ; peu de temps après, l’accroissement de la maison de Brandebourg ayant introduit dans ses états un nombre égal de réformés et de luthériens, il fallut bien s’occuper plus sérieusement de l’union des deux cultes. Le grand électeur y songeait sans cesse. Que faire pourtant ? L’hostilité des deux églises était encore trop récente, trop vive, pour qu’il fût sage de précipiter ce dénouement. On attendait, on appelait l’occasion propice. Ce fut aussi un des constans désirs de Frédéric-Guillaume Ier ; mais quand son fils monta sur le trône, cette politique, qui semblait une tradition de famille, fut bien vite abandonné, comme on pense. Ces questions de théologie étaient trop indifférentes à l’ami de Voltaire, au sceptique et glorieux capitaine de la guerre de sept ans. Après le grand Frédéric, ces traditions sont si bien rompues ; que Frédéric-Guillaume II, loin de chercher à conclure cette union, s’efforce au contraire de maintenir l’opposition des deux symboles. On ne cessa d’être indifférent sur ce point qu’après les rudes évènemens de 1806. Quand la Prusse, sous le gouvernement du feu roi, rassembla toutes ses forces pour se relever après Iéna, le sentiment de l’unité qui se développait avec tant de vigueur par la philosophie et par les guerres de 1813, ce sentiment dut s’appliquer bientôt aux questions religieuses. Il fut possible de songer de nouveau à établir en Prusse une seule église, une seule communion, dans laquelle disparaîtrait la vieille dissidence des réformés et des luthériens. Ainsi ce projet, vaguement entrevu par Sigismond, désiré et poursuivi par le grand électeur, par Leibnitz, par Frédéric-Guillaume Ier, abandonné par le scepticisme de Frédéric-le-Grand, combattu même par Frédéric-Guillaume II, ce projet put être enfin réalisé par le père du roi actuel, par Frédéric-Guillaume III.