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Tel est le portrait de la courtisane comme je me l’imagine retracé par la plume du satirique. Les traits épars dans Lucile se sont concentrés ici un peu au hasard ; mais qu’importe ? Si l’ensemble est arbitraire, il se vérifie du moins par les détails. Égaré dans un labyrinthe, on est bien excusable de chercher un fil conducteur.

Maintenant, c’est le tour de la matrone ; Lucile, en Romain des vieux temps, honore la famille, et son premier précepte est que « les enfans dont elle est mère font l’honneur d’une femme. » Mais ce n’était pas une raison pour que, en poète ami de sa liberté, il ne lançât contre le mariage quelques-uns de ces lazzis de célibataires que les maris eux-mêmes se permettent dans leurs jours de mauvaise humeur : « Tracas et chagrins, dit Lucile, que les hommes s’attirent volontairement ; ils prennent femme, font des enfans, et c’est là tout le secret. » Pour soutenir une thèse, il faut bien des preuves : les preuves ne manquent pas. Votre bourse, par exemple, que deviendra-t-elle ? Avec une femme, on n’a jamais fini : c’est le rubanier, et puis le ceinturier, et puis le passementier, et puis les esclaves, et puis les servantes pour la toilette de madame[1]. Mais mettez-vous bien dans l’esprit que ces frais de coquetterie ne sont pas faits pour vous : « quand elle est avec vous seul, c’est bien assez du premier chiffon venu ; qu’il arrive, au contraire, une visite (une visite d’hommes surtout), vite on étale torsades, pelisses et ceintures. » Voilà le charme de votre intérieur. Et, quand madame sort de chez elle, bon homme que vous êtes, où vous imaginez-vous donc qu’elle va ? « Chez l’orfèvre, chez sa mère, chez sa cousine, chez une amie ? Autant de prétextes pour aller dehors, et faire visite à quelqu’un. » C’est ainsi que vous serez trompé et ruiné « par une mangeuse qui, à la façon du polype[2], finira par se manger elle-même. » Ajoutez que, quand la jeunesse se sera flétrie, vous n’aurez plus à votre foyer qu’une « vieille garçonnière, vetulam atque virosam. » Tel est le mariage selon les capricieux pinceaux de Lucile ; mais comment lui attribuer une doctrine avec quelque certitude ? Ces fragmens, qui faisaient quelquefois partie de dialogues, comme on suppose, se contredisent souvent. Ainsi, ailleurs, on croirait qu’il donne le beau rôle à la femme ; il la montre économe, résigné dévouée. « Son époux est-il

  1. Comparez dans l’Aulularia (v. 464 et suiv.) la très piquante énumération des ouvriers sans nombre dont une femme avait besoin, pour sa toilette.
  2. Cette croyance que le polype se dévirait lui-même n’était plus qu’une fable au temps de Pline (Hist. Nat., IX, 46).