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REVUE. — CHRONIQUE.

qu’elles ne furent jamais. Et si, malgré ces apparences, notre époque est vraiment atteinte de cette incurable plaie, il faut reconnaître qu’il est beaucoup de nobles cœurs préservés de la contagion. Chaque jour voit combler une lacune dans la série des œuvres méritoires qui secondent les efforts de la charité publique. Mais, par une fatalité que nous ne saurions expliquer, les enfans trouvés, seuls jusqu’à ce jour, étaient restés presque en dehors de ce cercle que la charité s’efforce incessamment d’agrandir pour y renfermer tous les objets de sa sollicitude. Et pourtant, s’il est un malheur digne de pitié, fait pour émouvoir profondément, n’est-ce pas celui qui frappe l’innocence au berceau ? N’est-ce pas pour ce malheur immense et si peu mérité qu’on doit réserver, prodiguer les trésors de la compassion ? Abandonner ces enfans à la rigueur de leur sort, n’est-ce pas, dans une société qui se prétend chrétienne, suivre encore la loi cruelle de Moïse, et punir sur les enfans l’iniquité des pères ? Sans doute, il est fâcheux pour l’état, et surtout pour la morale et pour l’humanité, de voir grossir, d’année en année, cette population malheureuse qui devient un embarras pour le présent et une menace pour l’avenir ; mais suffit-il de s’occuper des moyens de la réduire aura-t-on tout fait, quand on aura mis les plus grands obstacles à l’abandon des enfans ? Ne restera-t-il pas encore une question qui dominera toutes les autres, celle de moraliser, d’instruire, de rendre à la vie de l’ame, au bonheur, à la société enfin, ceux de ces pauvres enfans qui seront toujours à sa charge, et qui, actuellement, sont de véritables ilotes ?

Jusqu’à présent l’intérêt qu’excite le sort des enfans trouvés n’a encore produit que des théories où les uns, exclusivement préoccupés du point de vue administratif, les autres entraînés par un zèle charitable, ont semblé méconnaître que cette grande question, comme toutes celles qui se rattachent à l’ordre social, est très complexe et ne saurait être résolue qu’en alliant avec prudence les calculs de l’économiste aux inspirations du cœur. Qu’on nous permette un examen rapide de ce qui a été fait jusqu’à ce jour.

Il faut se reporter à l’avènement du christianisme pour découvrir les premiers et faibles efforts par lesquels la charité étendit ses mains sur le berceau des pauvres créatures que la loi païenne traitait avec une indifférence barbare. La protection qu’on leur accorda ne fut alors ni très étendue, ni très efficace. Aucun asile ne s’ouvrait pour les recevoir, et dans tout l’Occident ils étaient esclaves de ceux qui les recueillaient. Cette disposition était encore en vigueur au temps de Charlemagne, comme l’atteste un de ses capitulaires.

Vers la fin du VIIIe siècle, un vertueux prêtre de Milan, Dathéus, fonda le premier asile ouvert à l’enfance délaissée, « voulant, dit-il dans l’acte constitutif, que les enfans y soient élevés, qu’on leur fasse apprendre un métier, et qu’ils soient préservés de la servitude. » Cette clause indique suffisamment que l’esclavage des enfans abandonnés était encore en usage. Le savant Muratori nous a conservé ce document, précieux à plus d’un titre ;