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faibles et négligés qui devaient se perdre dans le torrent. Aussi Talma s’est-il montré rarement avec avantage dans les ouvrages de Voltaire, et n’a-t-il vraiment excellé que dans le rôle d’Œdipe.

Mlle Rachel sera plus heureuse : elle a fait valoir, par un débit à la fois vif et accentué, presque toutes les beautés et dissimulé presque toutes les fautes du poète. Quant à la pièce en général, elle gagnerait à être jouée plus vivement. Voltaire (s’il y assistait) crierait de sa loge aux acteurs ce qu’il écrivait si énergiquement à Mlle Clairon : « Débridez, avalez les détails ! Il ne faut se négliger sur rien, et ce que je vous dis là n’est pas un rien ! » Non, certes, ce n’est pas un rien que de bien saisir et bien observer le mouvement dans lequel doit être exécuté un morceau ou un ouvrage. Tel veut être pressé, tel autre ralenti. Je regrette, pour ma part, qu’il ne puisse y avoir, à la Comédie-Française, comme à l’Opéra, un chef d’orchestre qui règle en souverain le mouvement de chaque ouvrage. Le rhythme de Destouches n’est pas le rhythme de Regnard. Je me rappelle avoir entendu, un soir, le Mariage de Figaro joué avec une lenteur désespérante, qui permettait de distinguer à loisir le faux, le vieux, le clinquant, le néologisme de ce fol ouvrage, et empêchait en même temps de jouir du jet heureux, de la vivacité, de l’entrain, de la verve, de la bonne humeur qui rachète et couvre tout. Ce soir-là, je reconnus la différence de l’allegro au piano et le danger de les confondre.

Un mot encore : Mme Mélingue se montre, dans Oreste, une intelligente et énergique Clytemnestre ; MM. Beauvalet et Guyon tirent peut-être le meilleur parti possible de leurs rôles un peu sacrifiés par le poète à ceux des femmes. Mlle Rebecca joue le personnage d’Iphise, créé par Mlle Gaussin, et a su s’y faire applaudir auprès de sa sœur.

Charles Magnin.

LA COLONIE AGRICOLE DE SAINT-FIRMIN.

On accuse généralement notre époque d’égoïsme. En voyant cette foule d’associations charitables qui se forment pour venir en aide au malheur, nous serions tenté d’expliquer ce reproche par l’humeur frondeuse et chagrine qui de tout temps a porté les hommes à vanter le passé pour médire du présent. Quoi de moins compatible avec l’égoïsme que cet esprit de charité que rien ne rebute ni ne décourage ? Les infirmités du corps, celles de l’ame, le coupable qu’on doit relever, l’innocent qu’il faut garantir, rien n’échappe à cette généreuse ardeur qui trouve en elle-même son aliment et sa récompense. Ses œuvres sont bien accueillies, plus fécondes, mieux soutenues