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celle qu’on lui doit sur Niobé. Le poète se représente dans la situation d’un messager qui vient annoncer à celle-ci la mort de ses fils, croyant que c’est là tout son malheur ; mais tout d’un coup, et tandis qu’il parle, il est témoin de la mort des filles restées auprès de leur mère. La première partie de cette petite pièce est en récit, et la seconde en tableau. On y sent respirer à chaque mot ce quelque chose de vif, de court, d’imprévu, qui est proprement le génie de l’épigramme. Rien aussi de plus sévèrement douloureux ; ces douze vers, qui suffisent à tant de meurtres, et qui en regorgent pour ainsi dire, étaient dignes d’être inscrits sur la statue antique, au socle du marbre.

« Fille de Tantale, Niobé, entends ma voix messagère de désastre, reçois la parole lamentable qui proclame tes angoisses ; délie le bandeau de tes cheveux, ô malheureuse, qui n’as mis au monde toute une race de fils que pour les flèches accablantes de Phoebus : tu n’as plus d’enfans ! — Mais quoi ? autre chose encore ! que vois-je ? Hélas ! hélas ! le meurtre déborde, il atteint jusqu’aux vierges. L’une tombe penchée sur les genoux de la mère, l’autre dans ses bras, l’autre à terre, l’autre à sa mamelle ; une autre, effarée, reçoit le trait en face ; une autre, à l’encontre de la flèche, se blottit ; l’autre, d’un œil qui survit, regarde encore la lumière. Et cette mère qui a trop chéri autrefois sa langue babillarde, terrifiée maintenant, figée dans sa chair, est devenue comme une pierre. »

La plus célèbre, la plus longue des pièces de Méléagre, et que nous avons réservée jusqu’ici, est son idylle sur le printemps ; on y saisit comme l’anneau d’or qui le rattache à Théocrite et à Bion. Rien de plus frais, de plus distinct et de plus net que cette peinture ; pas un trait n’y est vague ni de convention ; tout s’y anime et y vit aux regards, et y luit de sa juste couleur, ce qui fait que l’image est restée toute jeune, toute neuve et comme d’hier, dans un si vieux sujet. J’ai tâché de la calquer ici trait pour trait ; mais il est un certain lustre original qui ne se rend pas :

IDYLLE SUR LE PRINTEMPS.

« Le venteux hiver s’en étant allé du ciel, la saison rougissante du printemps a souri avec ses fleurs. La terre bleuâtre s’est couronnée d’herbe verte, et les plantes poussant leur tige se sont enchevelées de jeune feuillage. Buvant la tendre rosée de l’Aurore qui fait germer, les prairies s’égaient, à mesure que s’ouvre la rose. Et s’égaie aussi le bouvier jouant de sa flûte sur les montagnes, et le chevrier de chèvres