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ton carquois, Amour, ne cache plus rien de ce qui te servait hier encore de flèches ailées ; car en moi sont tous les traits[1]. » Il diversifie cette pensée, et, y entremêlant d’autres noms, il se plait à la redire, non point en pure fantaisie, mais d’un accent pénétré : « J’en jure par la frisure de Timo aux belles boucles amoureuses, par le corps odorant de Démo, dont le parfum enchante les songes, j’en jure encore par les jeux aimables d’Ilias, j’en jure par cette lampe vigilante qui s’enivre, chaque nuit, de mes chansons, je n’ai plus sur les lèvres qu’un tout petit souffle que tu m’as laissé, Amour ; mais si tu le veux, dis, et ce reste encore, je l’exhalerai. » C’est là sa plainte constante, c’est son vœu, même lorsqu’il a l’air de crier merci : « Le son de l’amour plonge sans cesse en mes oreilles, mon œil offre en silence sa douce larme aux désirs ; ni la nuit ni le jour n’ont endormi le mal, mais l’empreinte des philtres est déjà reconnaissable à plus d’un endroit dans mon cœur. O volages Amours, n’auriez-vous des ailes que pour voler sur moi, et n’en avez-vous pas, si peu que ce soit, pour vous envoler ? » - Je voudrais pouvoir rendre le passionné et le délicat de la plainte ; mais comment y réussir sans les vers, et comment rester exact et littéralement fidèle si l’on voulait rimer ? Je demande donc excuse une fois pour toutes, dans la nécessité où je me mets ici de traduire ces choses si légères ; de telles épigrammes sont comme des gouttes de miel cachées par l’abeille dans les fentes des vieux chênes ; on ne sait comment les en arracher, et souvent il y faut employer les ongles, ce qui gâte la grace.

On peut dire encore de ces courtes et vives saillies du poète amoureux que ce ne sont que des étincelles, mais des étincelles arrachées à la foudre. Il a de ces débuts enflammés qui tiennent des deux ivresses ; ainsi, dans cet élan d’orgie ou de sérénade (c’était un peu la même chose chez les anciens, comessatio), il veut courir à la porte de sa maîtresse, et s’adresse tour à tour à son serviteur pour qu’il allume le flambeau, et à lui-même pour s’enhardir : « Le dez en est jeté : allons, enfant, j’irai. — Allons, courage ! — Mais quel est ton projet, ivre que tu es ? — Je vais à la sérénade. — A la sérénade ! A quoi te livres-tu, mon Cœur ? Y a-t-il ombre de raison dans l’amour ? — Allume pourtant, allume vite. Qu’importent toutes les raisons d’auparavant ?

  1. Le texte de l’épigramme est assez incertain ; je suis l’édition de Graefe pour les quatre premiers vers, et je lis le cinquième comme s’il y avait πρώην ; c’est-à-dire : ton carquois ne cache plus toutes ces choses (boucle, sandale, etc., etc.) qui étaient hier tes flèches. La hardiesse de l’expression ne dépasse nullement ce qui est ordinaire à la poésie grecque et à celle de Méléagre en particulier.