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Ainsi Méléagre était de Gadare en Célésyrie ; il fut disciple de Ménippe le cynique, son compatriote, et fit même à son exemple (sans doute avant Varron) des satyres ménippées, dont Athénée nous a conservé les titres. Il vécut vieux, et, après avoir passé sa jeunesse à Tyr, il mourut dans l’île de Cos. Il florissait sous le dernier Séleucus[1].

Bon nombre de ses épigrammes sont destinées à célébrer ses amours à Tyr, amours bien asiatiques la plupart, de ceux qu’on rougit seulement de nommer, qu’étalait si à nu la muse antique, pour lesquels Horace et Virgile lui-même ont trouvé des accens et Cicéron des madrigaux[2], dont la poésie homérique était restée parfaitement exempte et pure, mais dont l’invasion dans la poésie grecque lyrique remonte jusqu’au temps d’Ibycus et de Stésichore. On dirait que le goût des anthologies animait, poursuivait Méléagre en toutes choses ; il combinait et tressait ses propres passions comme les muses de ses poètes : il faut le voir, dans cette Tyr dissolue, le long de ces îles d’Éolie qu’il parcourt, composer et assortir en tous sens les bouquets, les grappes d’amours comme des grappes d’abeilles, retourner et diversifier à plaisir ses groupes de Ganimèdes et de Cupidons : cela rappelle cette nichée d’amours, grands et petits, qu’Anacréon portait toujours dans le cœur. Méléagre en un endroit, par une moins gracieuse image et qui se sent plutôt de la ménippée, compare son mélange à je ne sais quel plat en renom alors, à je ne sais quelle macédoine pleine de ragoût. Passons vite sur ces délires. Le sentiment vrai, qui par instans s’y glisse, est propre à augmenter encore les regrets. « Catulle, qu’on ne peut nommer sans avoir horreur de ses obscénités, a écrit Fénelon en cette même.Lettre qu’il m’arrive d’invoquer souvent, est au comble de la perfection pour une simplicité passionnée ; » et il cite une distique sur Lesbie. Si l’on suppose que c’est quelque Lesbie qui parle, quelque Sapho passionnée, on pourra également admirer le distique de Méléagre, dont voici le sens privé du rhythme et de la grace concise : « Si je regarde Théron, je vois

  1. 95 ans environ avant J.-C.
  2. Singularité des mœurs ! ce vice, chez les anciens, en était venu à ressembler, dans certains cas, à une prétention. C’était chez eux, que dirai-je ? mode, bel air, dont les honnêtes gens se piquaient dans leurs poésies légères, dans leurs hendécasyllabes :
    Pour quelque Iris en l’air faire le langoureux
    (Voir Lettres de Pline, livre VII, 4.)