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goût aujourd’hui, aurait son action encore et sa nouveauté vive. La poésie française, qui fait, à travers tout, l’objet favori de mes pensées et dont la régénération n’a cessé, à aucun instant, de m’être présente, y gagnerait peut-être plus qu’il ne semble. Tout ce qui tend à élargir, à aiguiser du même coup et à simplifier le goût public, est favorable à cette régénération poétique dans laquelle il s’agit d’introduire, de combiner le plus de naturel et de vérité avec le plus de beauté. Et quoi de plus propre à cet effet non-seulement que la reproduction fidèle des modèles grecs, mais aussi que la multitude d’efforts, de souplesses de tour, et de graces de langue qu’il faudrait retrouver ou acquérir en les rendant ! Arroser le langage et le vivifier avec fraîcheur, cela demande des sources perpétuelles et pures ; ces sources, je le sais, on doit les chercher surtout en soi, dans son propre passé aux divers âges ; mais, du moment qu’on en demande au dehors, de quel côté se tourner de préférence à celui-là ? L’Ida était dit, par excellence, fertile en sources.

La poésie française, qu’on veuille bien le noter, a eu à combattre dès l’abord deux sortes d’ennemis, les pédans de cabinet, faiseurs de rhétorique, idolâtres de la régularité, et les mondains frivoles, incapables de sentir une certaine simplicité naturelle. Pour prendre des noms significatifs, elle a dû cheminer, comme entre deux feux, entre les Scaliger et les Fontenelle.

Que fait Scaliger en sa Poétique ? il préfère, par toutes sortes de raisons de cabinet, Virgile à Homère ; on s’est cru très loin de Scaliger, et on a fait long-temps comme lui ; on a toujours été, chez nous, très tenté de préférer des maîtres élaborés et polis[1], accomplis en leur genre, des maîtres de seconde venue, et qui prêtaient davantage aux poétiques. Il y a eu, en ce sens-là, bien du Scaliger jusque dans la postérité de Rollin. Quant au Fontenelle, c’est-à-dire à ce tour d’esprit volontiers moqueur d’un certain goût simple, il était aisément partout dans les salons, dès qu’il s’agissait de poésie, et on en découvrirait plus d’une dose jusque dans Voltaire.

  1. C’était bien là, en effet, le souci principal de Scaliger ; il met au-dessus de tout ce qu’il appelle Virgilianam diligentiam, et, après avoir soupçonné les nombreux larcins lyriques d’Horace, il conclut en disant : « Puto tamen eum fuisse Graecis omnibus cultiorem. — Comparant, ainsi que nous l’avons fait (Revue des Deux Mondes, livraison du 1er septembre 1845, page 887), la description de la nuit dans Apollonius à celle de Virgile, lequel en a omis pourtant certains traits énergiques, il juge le ton d’Apollonius vulgaire et presque bas (vulgaria, inquam, haec, et plebeia oratione), tandis que Virgile en cet endroit lui paraît plutôt héroïque ; déjà le noble avant tout.