trouver réalisée sur la pierre, et par un habile ciseau, une des plus nobles idées que la pensée royale ait exécutées de nos jours, celle de transmettre à la postérité les fastes glorieux d’une grande nation. Après les combats, les assauts, les supplices, viennent les réjouissances ; on voit à Ninive comme à Paris, après le siége de Samarie ou de Tyr comme après la bataille d’Isly, des guerriers en habits de fête, les cheveux et la barbe soigneusement bouclés et parfumés, assis devant des tables chargées de mets, les uns en face des autres, élevant leurs verres et portant des santés en l’honneur du vainqueur. Mais qu’est-ce que ces tables recouvertes de nappes, ces chaises, ces verres avec lesquels on trinque si joyeusement ? Ils sont du plus beau travail, et l’emportent, je ne dirai pas sur les produits de l’industrie du peuple qui occupe le territoire de Ninive, mais même sur beaucoup d’objets où nous nous plaisons à reconnaître l’empreinte de notre civilisation. Les tables ont une tournure extrêmement élégante ; leurs pieds en griffes de lion, portant sur des pommes de pin, sont très finement dessinés, et sculptés avec un art qui accuse une délicatesse excessive de goût et de ciseau. Les chaises ne sont pas moins remarquables ; elles prouvent, par imitation, que l’art du tourneur n’était pas inconnu alors. Les petites têtes de taureaux, si précieuses par leur travail et si vraies de caractère, qui ornent les bras de ces espèces de fauteuils, aussi bien que les têtes de lion qui terminent les vases à boire, me font penser que toutes ces représentations ne sont pas simplement le produit de l’imagination capricieuse d’un ouvrier, mais bien des symboles exprimant une idée religieuse ou politique. J’ai trouvé, au milieu des décombres, de petites têtes de taureaux en cuivre repoussé, parfaitement ciselées, et à l’intérieur desquelles étaient restés quelques fragmens de bois pourri ayant appartenu à des siéges exactement semblables à ceux qui figurent sur les bas-reliefs.
Cet immense festin, cette longue suite de tables auxquelles sont assis des convives d’un rang élevé, à en juger par le costume qu’ils portent et par les eunuques royaux qui les servent, rappellent assez bien l’interminable repas de cent quatre-vingts jours qu’Assuérus donna aux grands de son royaume, dans son palais de Suze. Pendant ce repas, dit l’Écriture, au livre d’Esther, « ayant le cœur gai de vin, il commanda aux sept eunuques qui servaient devant lui de lui amener la reine Vasti, afin de faire voir sa beauté aux seigneurs de sa cour… » Les choses ne se passèrent probablement point de la même façon dans le palais de Ninive, car il est remarquable que l’on n’y retrouve pas une seule figure de femme, si ce n’est parmi les captifs