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chauve et dégarni comme cet oiseau de proie, et qui caressait et polissait sans cesse l’arsenal de torture qui constituait le mobilier de sa profession. Il se nommait Hamaâdy, et c’était assurément la personne la plus estimée et la plus respectée à vingt lieues à la ronde ; comprenant son importance, il ne dérogeait par aucune faute à la considération dont il jouissait. Ce Tristan l’Hermite de l’émir Béchir, lequel condescendait, par estime pour la reine de Tadmor, à lui prêter ses services, ne traversait pas un village qu’on ne lui offrit aussitôt la plus belle maison, des fruits et des fleurs. Sous les ordres de son terrible maître, dont il était l’ami personnel et même jusqu’à un certain point le confident, il a étranglé, pendu, empalé, torturé plus de deux mille hommes et femmes. Aussi ses paroles étaient des ordres, et notre docteur en fit l’expérience à son détriment. Il ne put jamais se procurer une provision de lait et de crème régulière, parce que Suleiman Hamaâdy voulait en avoir tous les jours, et que les paysans le servaient le premier. Au surplus, lady Stanhope ne pendait personne ; la reine de Tadmor faisait un usage très modeste de ce moyen de gouvernement, et employait Hamaâdy bien moins en réalité qu'in terrorem, comme disent les jurisconsultes anciens. Lorsque ses générosités et ses munificences royales l’eurent réduite à un degré de détresse qui ne lui permettait plus de nourrir ses chevaux, elle résolut de se défaire de deux magnifiques jumens qu’elle aimait beaucoup, et fit venir Hamaâdy : « Vous les tuerez, lui dit-elle, au milieu de la grande cour et d’un seul coup, et vous aurez soin de vous pencher à leur oreille et de leur dire tout bas : « Votre maîtresse, qui vous aime, ne veut pas que vous languissiez et que vous dépérissiez de faim et d’inactivité dans son palais ; elle vous renvoie, pauvres êtres, au Dieu suprême de la nature, qui vous transformera selon les volontés de sa puissance. »

Quand le docteur, qui ne concevait pas ces pratiques orientales, lui témoignait son peu de goût pour les tenailles et les ferremens dont Hamaâdy se présentait escorté, lady Esther se justifiait assez bien. « Vous êtes là, lui disait-elle, au milieu du mont Liban et de ce monde sauvage que vous ignorez, aussi stupide qu’un vieux tronc d’arbre et ne comprenant rien à tout ce qui vous entoure. Ici, ce que l’on méprise le plus, c’est la douceur. « Nous ne voulons pas être menés par des poules, dit leur proverbe, mais par des tigres. » Ma servante abyssinienne Fathoum n’exécutait aucun de mes ordres et ne bougeait pas quand je la sonnais. Je la fis venir et je lui demandai ce que signifiaient sa désobéissance et sa paresse. Elle me répondit : « Vous me