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pas devenu autre, mais tout se passait en elle. C’est l’égoïsme de la passion dans sa crudité, qui s’était un moment exalté jusqu’au sublime. Heureusement, chez nous autres modernes (rendons-nous justice), tout cela a bien changé ; la terminaison se dissimule d’ordinaire, se recouvre d’hommages prolongés et, chez les natures délicates, s’enveloppe d’un culte d’amitié et de souvenirs. Le christianisme et la chevalerie jettent des nuances, et comme des rayons, sur les pentes du déclin qui restent encore belles. En un mot, la maladie, chez les modernes, persiste, mais extrêmement voilée.

Je reviens bien vite à notre antique victime, à Médée et à son monologue interrompu. Seule donc, durant la nuit, et partagée entre mille résolutions contradictoires, elle se débat avec elle-même : elle regrette de n’être point morte de mort naturelle, de n’avoir point été frappée des flèches de Diane avant l’arrivée de cet étranger. Elle le voue à son destin, et veut au même moment l’en arracher. Adieu la pudeur, adieu la gloire ! elle le sauvera ; mais, pour se punir, le jour même du combat et du triomphe, elle mettra fin à ses jours par le lacet ou par le poison. Pourtant, que diront d’elle alors les femmes de Colchide ? Elles railleront son indigne fin et entacheront d’infamie sa mémoire. Ah ! mieux vaut mourir cette nuit même, à l’instant, avant le crime, avant la honte. — Je continue de traduire :

« Elle dit et s’en alla prendre la boite dans laquelle étaient rangées bien des drogues, les unes salutaires, les autres destructives, et, l’ayant placée sur ses genoux, elle se lamentait. Son sein se baignait d’intarissables larmes qui coulaient en torrens à l’aventure, tandis qu’elle déplorait terriblement son destin. Et elle avait envie de tirer des poisons qui tuent, pour se les verser. Déjà elle déliait les liens de la cassette, tout empressée de faire son choix, la malheureuse ! mais soudainement les épouvantes de l’horrible Pluton descendirent dans son cœur ; elle demeura un long temps privée de la parole : autour d’elle tous les aimables soins de la vie se représentaient. Elle se ressouvint de tout ce qu’il y a d’agréable parmi les vivans ; elle se souvint de ses compagnes du même âge qui faisaient sa joie, comme une jeune fille qu’elle était ; et le soleil lui parut plus doux à regarder qu’auparavant, à mesure en effet qu’elle se reprenait en idée à chaque chose. Et elle rejeta la cassette de dessus ses genoux, toute retournée au gré de Junon ; elle ne partageait plus ses desseins çà et là, mais elle ne désirait que de voir bien vite se lever l’Aurore, afin de lui remettre, à lui, le charme convenu et d’aller à sa rencontre. Plus d’une fois elle ouvrit