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Quel besoin si pressant avez-vous de rimer ?
Et qui diantre vous pousse à vous faire imprimer ?

La comtesse Hahn-Hahn rimait pour se consoler d’une mystérieuse infortune et pour tromper la douleur. Eh bien ! elle y a trop réussi. Il y a des douleurs salutaires, et la sienne était de celles-là sans doute ; or, elle l’a échangée contre une maladie pernicieuse. Je parle de cette maladie si répandue dans le temps où nous sommes, si contagieuse en tout pays, au-delà comme en-deçà du Rhin. Vanité de l’esprit, vanité de la plume, intempérance des imaginations faibles, excitations factices, mensonges et lieux communs, appelez-le du nom que vous voudrez, voilà le fléau des lettres contemporaines. Les démangeaisons d’Oronte sont devenues chez la plupart une fièvre tenace ; véritable épidémie qui énerve les forts, excite inutilement les faibles, et les fait languir les uns et les autres dans les régions malsaines de la médiocrité. Qui n’aurait cru, en lisant les vers de Mme Hahn-Hahn, à la franchise d’une douleur rendue ainsi sans apprêt et avec une faiblesse aimable ? Dès qu’elle a pris la plume, elle a oublié sa souffrance, elle s’est enivrée de sa parole, de sa parole légère et étourdie ; elle a continué d’écrire, d’écrire chaque jour, sans motif, sans vocation, sans attendre l’appel de la Muse. Nouveau mal, je le répète, et bien plus grave que l’autre ! Je souhaite pour Mme Hahn-Hahn que cette maladie littéraire ne lui dure pas long-temps, pas plus que n’a duré la gracieuse et sincère tristesse dont elle s’est, hélas ! si vite et si complètement guérie.


SAINT-RENÉ TAILLANDIER.