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qui le condamneraient, aus der Gesellschaft, - tableau de la société ? L’incroyable insouciance des héroïnes de Mme Hahn-Hahn serait tout au plus possible dans les îles de l’Océanie. Mais revenons à lady Desmont.

Il y a trois personnages dans ce roman ; je dis trois personnages un peu plus sérieux que les autres, au milieu de la foule qui encombre les salons de la comtesse : Catherine, son cousin Gaston de Lasperg, et un ami de Gaston, le comte Julius Ohlen. Sera-ce Gaston qui épousera Catherine. Desmont ? sera-ce le comte Ohlen ? Tel est à peu prés tout le roman. Gaston est bien sombre, bien mystérieux, et à ce titre il pourrait charmer sans doute la poétique Catherine, qui veut faire bravement sa troisième expérience ; mais si Gaston est sombre, ce n’est point à cause de la supériorité dédaigneuse de sa pensée, comme cela arrive chez les héros au front pâle et aux tempes dégarnies : non, c’est que Gaston est laid, qu’il a toujours été froissé depuis son enfance, et que ces mesquins et tristes souvenirs lui ont laissé dans l’esprit une timidité ridicule, dans le cœur une irrésolution inguérissable. Gaston n’épousera pas Catherine. Ce sera donc le comte Ohlen ? Mais il est impossible d’être plus égoïste et plus léger ; ce n’est point là un héros comme il convient. Or, tout à coup il se trouve que le comte Ohlen, sous sa légèreté apparente, cache le cœur le plus passionné ; cette découverte nous enchante, et nous nous empressons d’unir le comte Ohlen et Catherine Desmont. Je crois seulement que l’auteur oublie de les marier ; Catherine est la maîtresse du comte Ohlen ! C’était bien la peine de découvrir un pays privilégié, où le divorce est d’une pratique si facile ! Dans ce pays d’Utopie, la bravade de Catherine est moins excusable que jamais. Après cela, si le lecteur m’arrête et me demande quel est l’intérêt, quel est le sens de cette insignifiante histoire, si c’est bien là une œuvre littéraire, où est le plan, où est l’invention, je serai bien forcé de répondre que je l’ignore. Quant au fruit de cette lecture, hélas ! le voici : c’est une fâcheuse découverte, la découverte d’un vice littéraire qui semblait impossible en Allemagne, et que nos voisins semblent très fiers de nous avoir dérobé. Se faire lire sans une seule idée, et seulement à cause d’une certaine facilité vulgaire, il y a bien des plumes en France qui savent ce triste secret, et c’est le plus inquiétant symptôme de cet âge de papier dont Charles Nodier nous menaçait. L’Allemagne y arrive à son tour ; il est donc bien vrai que l’âge de papier a commencé !

Le roman qui suivit de près les trois livres que je viens d’examiner, Ulric, a excité une attention assez vive. On a cru y voir une tentative