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amour et s’est réfugié dans l’égoïsme. Voilà bien des défauts, assurément : une composition faible, des caractères indécis, sans parler du style et de ses prétentions. Eh bien ! malgré tant d’objections sérieuses, il y a dans Ilda Schœnholm une tristesse aimable, une grace douloureuse qui rachète les fautes de l’artiste. Cette fin même, qui ne conclut pas, semble une négligence savante, et l’on dirait que de cette histoire inachevée il s’exhale comme un soupir harmonieux.

Les tendances secrètes de l’auteur, que voilait cette indécise mélancolie, vont éclater bientôt dans le second ouvrage qu’elle publiera, dans le plus célèbre de ses romans ; je parle de la Comtesse Faustine. La comtesse Faustine, c’est encore Ilda Schoenholm. C’est le même cœur ardent, ouvert aux impressions enflammées ; c’est aussi le même enthousiasme pour les arts, le même génie avec une ravissante beauté. Seulement, nous ne retrouvons pas ici la douce Ilda résignée, patiente ; non, elle s’est révoltée contre la douleur. Lasse du sacrifice, elle en est venue à prêcher l’égoïsme et à le pratiquer sans scrupule. L’égoïsme, voilà son armure pour traverser la vie, et défendre son ame trop souvent blessée. Comme elle porte avec grace cette cuirasse maudite ! quelle légèreté ! quelle insouciance aimable ! à la voir sourire, vous croiriez qu’elle joue, la charmante jeune femme ! Prenez garde, ce n’est point un jeu. Quand la passion l’exigera, elle sera implacable, elle frappera de mort ceux qui l’aiment.

On ne peut nier qu’il n’y ait beaucoup d’aisance et d’éclat dans toute la première partie de la Comtesse Faustine. Nous sommes à Dresde. Voyez-vous à la promenade, au théâtre, dans les salons, voyez-vous cette jeune femme un peu pâle, un peu sérieuse par momens, mais si belle, si spirituelle, si brillante ? C’est la comtesse Faustine Obernau. Il est impossible d’avoir plus de grace dans l’esprit, plus de promptitude dans la pensée, plus de charme dans la parole. Sa conversation est étincelante, et sa fantaisie, toujours prête, sème en se jouant mille trésors autour d’elle. On sent bien, à de certains instans, que cette ame est profonde et résolue ; mais comme elle sait cacher cela sous un enjouement adorable ! Il n’y a qu’un œil exercé qui puisse surprendre çà et là ces signes d’un caractère viril. Le plus souvent, au contraire, elle s’abandonne à tout le laisser-aller de sa gracieuse nature, elle sourit au monde, elle est heureuse ! Mais quel est ce jeune homme qui l’accompagne sans cesse ? Ce n’est point son mari, Faustine est veuve ; c’est son amant, le comte Anastase Andlau. Or, le monde, cette fois, a oublié ses scrupules et ses répugnances. Le comte Andlau est si noble, si loyal ! il y a dans son attachement pour Faustine